Régina Louf et les chiens de garde
Marc Reisinger, 17/3/2001
Pour la verité

Il y a plus de deux ans que Régina Louf a entamé une procédure civile contre les journalistes Brewaeys, Deliège et Dawant, ainsi que contre le député Claude Eerdekens. Le but de cette action est moins d'obtenir réparation que de dénoncer publiquement la manière ignoble dont elle fut traité par certains médias.
Ce lynchage médiatique a été rendu possible par les autorités judiciaires qui ont pris la peine de convoquer une conférence de presse, le 30 janvier 1998, pour déclarer qu'on ne pouvait "ni infirmer ni confirmer" le témoignage de Régina Louf. Cette intervention inédite - et non exempte de duplicité - des magistrats responsables d'une enquête en cours a eu pour effet de lancer les "chiens de garde" contre Régina Louf. Des esprits plus subtils auraient pu se demander s'il était nécessaire de mobiliser tant de monde pour réfuter une fiction.

Voir : www.pourlaverite.org : DOCUMENTS : M. Reisinger, Lynchage médiatique d'une victime, 20/11/1999

L'action civile de Régina Louf contre les journalistes constitue aussi un moyen indirect de dénoncer le lâchage public des magistrats. Abandonnée par la justice pénale, elle n'avait plus comme recours que de défendre son honneur au civil. Mais Régina Louf n'a pas renoncé à faire connaître "ce que la Belgique ne devait pas savoir sur l'affaire Dutroux". Elle s'est déclarée personne lésée dans l'affaire de la champignonnière, auprès du juge d'instruction Vandermeersch. Elle a déposé plainte contre les "relecteurs" de ses auditions, qui ont falsifié celles-ci. Elle s'est également portée partie civile auprès du procureur Bourlet à Neufchâteau. L'aube de la vérité se lèvera peut-être un jour sur les "dossiers X".

La première audience du procès civil a eu lieu en décembre 2000, mais elle a été interrompue par un incident. Une juge suppléante a constaté qu'elle était proche d'un témoin cité dans le dossier, à savoir le fils du propriétaire de l'ancienne champignonnière d'Auderghem, où le corps de Christine Van Hees a été trouvé en 1984. Rappelons que Régina Louf déclare avoir assisté à cet assassinat. Le témoin cité a examiné la description des lieux faite par Régina Louf, et il a affirmé que cette description ne pouvait avoir été faite que par une personne qui s'était rendue à la champignonnière, contrairement à ce que le substitut du procureur, Mme Somers, a prétendu lors d'une interview télévisée. L'incident d'audience renforce indirectement les déclarations du témoin évoqué, dont on peut penser, sur base de ses fréquentations, qu'il n'est pas un affabulateur dément.

Voir : www.pourlaverite.org PRESSE: Régina Louf se rebiffe, 6/12/2000

Les débats ont donc repris cette semaine. Le premier jour, Maître Patricia van der Smissen a longuement présenté le contexte dans lequel s'est déroulé le lynchage médiatique de Régina Louf. Le lendemain la parole était aux avocats des défendeurs.

Marc Uyttendaele défendait Claude Eerdekens avec une arrogance et une veulerie bien en phases avec celles de son client. C'est à peine si Me Uyttendaele se retenait d'injurier Régina Louf devant les juges. La défense de M. Eerdekens est simple et brutale. Il n'a rien fait et, de toute façon, il n'est pas responsable.
Eerdekens a déclaré au sujet de Régina Louf : "Une possibilité: elle a un chromosome en plus et une case en moins. Elle n'a vraiment plus la plénitude de ses facultés mentales et on se pose des questions sur l'enquête: comment des enquêteurs ont-ils pu se laisser abuser par une demi-cinglée ?" (Controverse, RTL-TVi, 1/3/1998). Dans le même temps, Eerdekens reconnaissait : "Je ne sais des X que ce que la presse en a écrit" (Controverse, RTL-TVi, 14/6/1998). Ce qui ne l'empêchait pas de réclamer l'éviction des gendarmes De Baets et Bille, avec la délicatesse qui le caractérise : "De Baets et Bille ont manipulé les membres de la Commission parlementaire… Qu'on les vire !" (Le Soir Illustré, 21/10/1998).

Deux ans plus tard, on sait qu'en dépit d'une enquête approfondie sur l'enquête, aucune faute ne peut être reprochée aux enquêteurs De Baets et Bille. Ceci n'empêche pas Me Uyttendaele de se plaindre du "délire collectif" d'un pays, au sein duquel son client aurait le premier retrouvé la raison. Nous avons vécu une "drôle de période", dont les responsables sont Connerotte, Bourlet, et les "justiciers parlementaire", membre d'une commission qui "manquait de professionnalisme". Heureusement, la page est tournée, "le calme est revenu."
Quant à ses propos les plus injurieux et calomnieux, Eerdekens les nie tout simplement. Il a déclaré à une journaliste française : " Régina Louf est folle à lier et les gendarmes se sont ridiculisés… Il y a des indices très sérieux qui nous font penser que le mari de Régina Louf a abusé d'une de leurs filles. Comprenez que c'est difficile pour nous de prendre ces gens au sérieux! Même si l'enfance de cette pauvressse a été perturbée" (VSD, 3/12/1998). Aujourd'hui Eerdekens nie connaître cette journaliste (alors qu'il n'a pas réagi à la publication de son interview). Encore une folle, probablement.

De toute manière, quoi qu'il ait dit, M. Eerdekens revendique son irresponsabilité totale. Courageusement, il se réfugie derrière une interprétation extensive de l'article de la Constitution sur l'immunité parlementaire. Pas de chance, son défenseur - constitutionaliste éminent - a rédigé il n'y a pas très longtemps, un article sur la question où il précise: "L'irresponsabilité (du parlementaire) ne couvre que les actes qui relèvent de la fonction parlementaire. Les propos tenus en d'autres circonstances, notamment dans la presse, des meetings ou congrès politiques, y échappent" (M. Uyttendaele, Précis de droit public belge, 1997). Qu'à cela ne tienne : "Il faut que le droit évolue", réplique pour les besoins de la cause, l'avocat Uyttendaele au constitutionaliste Uyttendaele.

La défense des journalistes Deliège et Brewaeys est une lourde tâche. Surnommés "les deux pitt-bulls", ces journalistes du Soir Illustré détiennent la palme du nombre de condamnations judiciaires en Belgique. Ils ont d'ailleurs été condamnés récemment par le même tribunal civil pour leur écrits calomnieux et leur acharnement contre les gendarme De Baets et Bille, dans le cadre de l'enquête sur Régina Louf.
Me Olivier Klees s'est efforcé de gommer tout ce que les écrits des "deux pitt-bulls" pouvaient avoir d'injurieux, pour en faire la simple expression d'une opinion (à laquelle ils ont pleinement droit). Il a passé autant que possible sous silence les slogans insultants ressassés par Le Soir Illustré: "Louf story", "Un témoignage à barrer d'un grand X", "Régina Louf c'est du vent", "Les bobards de X1", "Des pseudo-témoins font fantasmer un pays entier sur base de leurs élucubrations pornographiques", "Les déclarations de Régina Louf et de ses coréligionnaires n'étaient que fantasmes. En attendant, elles ont semé le trouble dans la population mais surtout, elles ont coûté fort cher à la justice". L'avocat a également négligé le fait que pour démontrer leur thèse Brewaeys et Deliège distillaient quantité d'informations fausses : "X1 n'a jamais reconnu Christine Van Hees sur photo", "Les auditions ont été manipulées par les enquêteurs écartés" (affirmation dont la fausseté a été démontrée et pour laquelle les deux journalistes ont déjà été condamnés).

L'auto-intoxication produite par ces informations est telle qu'un des avocats des défendeurs a repris à son compte une fausse information diffusée par Brewaeys et Deliège. En avril 2000, ceux-ci publiaient une liste ahurissante de personnalités dont ils laissaient entendre qu'elles seraient dénoncées par les "fameux grands témoins X"… "Même Jacques Chirac se trouvait dans la liste des dangereux prédateurs pédophiles". En réalité cet album contenait des photos de personnalités médiatiques, choisies par le parquet de Liège - et non par les interrogateurs des témoins X - dans le but de s'assurer que les témoins n'étaient pas influencés par des visages connus des médias. Cet album n'a d'ailleurs jamais été utilisé.

Comme Me Uyttendaele, Me Klees a essayé de faire porter la responsabilité du lynchage médiatique de Régina Louf sur elle-même: en choisissant de témoigner à visage découvert, elle s'exposait aux critiques légitimes de l'opinion. Etrange raisonnement selon lequel une victime devrait rester cachée et pourrait se faire insulter publiquement dès qu'elle sort de l'anonymat.
L'avocat de la société Rossel, éditrice du Soir Illustré a exprimé sa totale solidarité avec ses journalistes, en essayant de limiter le montant des dommages réclamés.

Restait à entendre le défenseur de René-Philippe Dawant. On sait que ce dernier a consacré un ouvrage a démontrer que Dutroux était un prédateur isolé, Nihoul un bouc émissaire et les témoins X des affabulatrices. Pour étayer ce dernier point, il n'a pas hésité à publier une audition falsifiée de Régina Louf. Afin de prouver que les enquêteurs "tentaient de suggérer à leur témoin que le cadavre de Christine Van Hees a été détruit par le feu", Dawant plaçait notamment l'affirmation du témoin Régina Louf : "Ils la brûlent", dans la bouche de l'interrogateur De Baets.

Voir : www.pourlaverite.org DOCUMENTS : M. Reisinger, L'audition falsifiée de Régina Louf, 25/11/2000

Pour tenter de se dépêtrer du mauvais pas de son client, Me Englebert s'est démené comme un diable: "Mon client n'a jamais publié de procès-verbal… Il a publié la façon dont il pense que l'interrogatoire de Régina Louf a eu lieu (sic)… Il a pu consulter brièvement la farde concernant les déclarations des témoins X… Il a pris des notes et il en a reproduit certains passages dans son livre… Il a commis une erreur de retranscription… c'est tout." Bel exemple de la rigueur avec laquelle M. Dawant rédigea son pavé sur l'affaire Dutroux.

Face au carré d'avocats des défendeurs, Patricia van der Smissen a montré une fermeté et une combativité émouvante, digne de la chèvre de Mr Seguin. Espérons que la cour, qui semblait attentive, permettra à Régina Louf de "tenir jusqu'à l'aube".