Chapitre 1 

Connaissez-vous cette sensation? je rêve que je me réveille en sursaut; je pense que je suis réveillée et qu'ils sont soudain tous à nouveau autour de moi: ma mère, mon père, mon frère Adriaan, mon ex, Wouter, et les autres. Les cauchemars sont tout aussi horribles que la réalité passée. Ils sont plus vrais que la réalité ; si vrais que je crois revivre le passé : les meurtres d'enfants, les avortements, je les revois abattant mon petit chien Tarzan, etc. J'entends des bruits sourds autour de moi, je suis terrorisée.

Et puis ce regard dans leurs yeux. Dans mes cauchemars, ce sont les yeux de ma mère que je vois en premier lieu; il m'est impossible de décrire son regard ; il me poursuit depuis ma plus tendre enfance : le regard dans les yeux de ma mère quand déjà elle commençait à parler de petits jeux sexuels. Son regard plutôt doux devenait dur et excité; elle devenait quelqu'un d'autre. Plus tard j'ai retrouvé ce regard dans les yeux de beaucoup d'autres personnes qui ont participé à ces jeux.

Ensuite l'angoisse est telle que je me réveille réellement, mais cela dure quelques instants avant que je ne réalise complètement, et très longtemps avant que je puisse me débarrasser de l'horrible sensation éprouvée., Il y a un rêve que je fais régulièrement: je me rends à la prison où se trouvent mes parents. J'entre, les portes se ferment derrière moi et je parle avec un homme. Celui-ci m'affirme que mes parents me traiteront bien à l'avenir et qu'ils m'écouteront. Mes parents promettent de le faire et obtiennent ainsi la permission de sortir. Mais aussitôt rentrés à la maison, les rôles s'inversent: ils prennent à nouveau les choses en main et tout recommence de plus belle.

Il a fallu des mois avant que je comprenne la signification de ce rêve. Celui-ci me fait frémir, d'autant plus que la personne qui veut faire sortir mes parents, c'est moi. Ils ont dû réussir à me rendre folle pour me mettre ainsi devant un tel dilemme: comment, après tout ce qu'ils m'ont fait, puis-je encore vouloir les aider ?

Depuis que j'ai dix ans, je ne me rappelle pas un moment où je n'étais pas enceinte. Ils ont tué six de mes enfants après l'accouchement, le septième est encore en vie quelque part. Je ne sais pas où. Seize fois, ils m'ont avortée, de toutes les manières possibles, à un stade précoce de la grossesse. J'ai eu mes premières règles avant dix ans. Après tout ceci - et ce n'est pas le pire - je ne comprends pas comment je peux encore me préoccuper de leur sort.

je ne demande qu'une chose: qu'ils meurent le plus vite possible; je ne crois pas que ce soit un désir de vengeance - bien que j'en tirerais la plus grande satisfaction - mais seule leur mort me permettrait de clore enfin le chapitre de mon passé. Je n'en serai pas délivrée, mais je n'en aurai plus peur. Car aussi longtemps que mes parents vivront, je serai hantée par la peur que tout recommence, même si je sais qu'ils sont hors d'état de nuire en prison.

Mon angoisse est permanente : chaque matin quand je me lève, chaque soir quand je vais me coucher. Si au moins cela pouvait ne pas recommencer aujourd'hui, si au moins cela pouvait ne pas recommencer aujourd'hui.. Aussi longtemps qu'ils respireront, je ne pourrai pas commencer ma propre vie. On m'a dit qu'ils avaient peur, qu'ils s'étaient repliés sur eux-mêmes, qu'ils n'étaient pas en très bonne santé, tout cela m'importe peu. je n'attends qu'une seule nouvelle : la nouvelle de leur mort; et même alors il faudra que je me persuade qu'ils sont réellement morts.

J'éprouve envers mon père des sentiments partagés et cela crée en moi une certaine confusion. Il est coupable d'exactement les mêmes choses que ma mère et pour cela je le hais, mais malgré tout, je continue à l'aimer. Quant à ma mère, je souhaiterais creuser S'il le faut, moi-même - sa propre tombe. Elle était la tête pensante, elle est donc la plus coupable. C'est elle qui disait aux clients: "Tu peux tout faire avec elle, du moment que tu me la rends vivante."

À cause de mes rêves, le sommeil me fait peur. Pendant la journée, lorsque l'aide familiale est là, je dors quelques heures. S'ils étaient morts, ces rêves cesseraient peut-être. La vie serait en tout cas un peu plus supportable. Depuis quelques années, je ne mange presque plus. Quand je me sens faible, je prends un morceau de sucre ou de chocolat. Sinon, je me nourris de cigarettes, de café noir et d'injections de vitamines. L'ouverture du procès a fait massivement resurgir dans ma mémoire les images de mon passé. J'ai depuis perdu mon appétit, celui-ci n'est toujours pas revenu. je suis maintenant presque incapable d'avaler quoi que ce soit par la bouche car ils m'avaient forcée à avaler un morceau de mon propre bébé. À la moindre bouchée que j'avale, la haine que j'éprouve m'est insupportable. je mange une fois toutes les deux semaines avec les enfants, à condition que ce ne soit pas de la viande. Nous dînons alors tard de façon que je puisse les coucher aussitôt après car je ne veux pas qu'ils soient les victimes de mes réactions incontrôlées.

La nuit, quand je suis seule avec mes enfants, je ne dors presque jamais. S'il m'arrive de m'endormir, je fais automatiquement un cauchemar. Je ne regarde presque pas la télévision. Je m'assieds sur un banc dans l'obscurité et je regarde les voitures qui passent. je joue avec les petits chats, ou avec Tommie, le rat. je reste les yeux fixés dans le vide et je repense au passé. C'est la nuit, toute seule, que je me sens le mieux. Le passé est toujours en moi.


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