Chapitre 2

Lorsque ma mère était bébé, dans son parc, elle se frappait souvent, très fort et longtemps, la tête contre le mur. Elle ne s'arrêtait que quand sa mère éloignait le parc du mur. C'est une des rares choses que je sais à propos de son enfance. Je ne sais presque rien au sujet du passé de mon père et de ma mère, et ce que je sais, je l'ai appris en grande partie au cours de l'enquête, c'est donc tout à fait nouveau pour moi. Ma mère aurait, paraît-il, l'intelligence d'une enfant de huit ans. Son comportement quand elle était bébé y est sûrement pour quelque chose. Cela ne m'étonnerait pas non plus qu'elle soit incapable de sentiments. Tante Afra, sa soeur aînée, est depuis toujours dans une institution spécialisée.

La seule chose que ma mère m'ait racontée de son enfance est qu'elle allait à l'école en sabots, avec des rubans dans les cheveux, et que très vite, elle a dû arrêter d'y aller pour travailler dans une blanchisserie ; ses plus jeunes soeurs y travaillaient aussi. Lorsqu'elles S'achetaient des choux à la crème chez le boulanger, ses soeurs mangeaient la crème et ne lui laissaient que la pâte. je ne sais rien de plus.

Elle est la seconde fille d'une famille de douze enfants, originaire de Heerde. Mes oncles et tantes sont tous très différents. L'écart d'âge est aussi très grand, le plus jeune ayant maintenant trente-cinq ans et le plus vieux soixante-quinze. Mon père et ma mère ont respectivement cinquante-huit et cinquante-six ans. Les aînés sont des drôles de gens, ils n'atteignent pas même le niveau de l'école primaire. Ma mère sait à peine lire et écrire, certains de mes oncles et tantes sont totalement analphabètes. Ce sont des ouvriers, mais quant à savoir dans quel domaine précisément, je l'ignore. Lorsqu'il nous arrivait d'être invités chez un de ces oncles, il fallait bien regarder dans son assiette car celle-ci grouillait de limaces et de chenilles. La laitue du jardin n'était trempée qu'une fois rapidement dans un seau d'eau et flanquée telle quelle sur notre assiette.

Que puis-je encore dire ? Nous ne les voyions pas souvent. je me souviens que les aînés et les plus jeunes de la famille se bagarraient souvent. Les plus jeunes se moquaient des plus âgés, mais ceux-ci ne s'en rendaient pas compte. La jeune génération est différente elle est plus normale et plus gâtée.

je n'ai jamais connu mes grands-parents maternels. Ils sont morts un an avant ma naissance. Mon grandpère devait être une sacrée brute, il était très porté sur l'alcool, il avait les cheveux roux comme mon frère Adriaan. On dit que ma grand-mère était une personne élégante et gentille. Mon grand-père travaillait dans la fabrique de biscuits de Heerde, où, plus tard, ma mère a aussi travaillé. Chaque année il y avait un enfant de plus. La famille a donc longtemps habité à Zuppeld dans la "maison des pauvres " qui dépendait de l'église ; genre d'entrepôt où ma mère était chargée du ménage. Cette maison est maintenant démolie et Zuppeld est devenu un faubourg de Heerde.

En ce qui concerne la religion, personne ne pratiquait chez nous. je ne sais même pas si mon père croyait en quelque chose, mais du côté de ma mère, ils faisaient tous partie de la communauté pentecôtiste de Zwolle. Ils parlaient toujours d'un Américain évangéliste, Tommy Lee Osborn. Quand mes oncles et tantes venaient en visite chez nous, ils discutaient de choses sérieuses avec ma mère ; pour cela, elle était très bonne, mais une fois qu'ils étaient partis, elle se moquait d'eux. Sa famille compte encore beaucoup de fidèles à cette communauté. Un oncle a par exemple dans son jardin une pancarte avec l'inscription jésus sauve, Jésus guérit.

On dirait qu'ils sont allergiques aux médecins et aux hôpitaux, les piqûres aussi sont tabou. Tante Lien avait par exemple un fils de mon âge qui souffrait d'épilepsie. Il fallait absolument qu'il aille à l'hôpital, mais ils reportaient toujours la décision et un jour il est mort. On n'a jamais vraiment su ce qui s'était passé. Tantôt on disait qu'il avait été renversé par un camion, tantôt qu'on l'avait trouvé mort dans son lit.

Il y a aussi des Témoins de Jéhovah dans la famille. Ceux-ci ne venaient jamais chez nous à Noël à cause de l'arbre de Noël, un symbole païen dont ils redoutaient qu'il n'attire les esprits. je m'entendais très bien avec une de mes plus jeunes tantes, tante Coba.

Depuis que je suis sortie d'affaire, je ne vois plus personne de la famille. Ils ne veulent pas croire un mot de ce qui s'est passé chez nous, ou du moins ils font semblant. Ils m'ont toujours prise pour une mythomane, p ourquoi cela changerait-il maintenant ? Moi je sais ce qui est vrai et mes parents aussi. Je ne sais pas si dans la famille de ma mère, l'inceste se pratiquait; dans la famille de mon père par contre, j'en suis sûre. Pendant le procès, j'ai appris qu'auparavant il avait aussi eu des relations incestueuses avec sa soeur. Cela devait être tante Corrie, car il n'a qu'une soeur.

( .. ) Lorsque j'avais seize ou dix-huit ans, j'ai aussi couché avec mon unique soeur, Corrie, qui avait alors douze ou treize ans. Avec mes frères, j'ai bien sûr aussi partagé des jeux sexuels. Yolanda venait parfois chez tante Corrie. Elles s'entendaient bien, ce qui n'étaitpas si étonnant. (..)

(Arie, père de Yolanda, procès-verbal du 18/10/1990)

J'ai trouvé la déclaration de mon père horrible. Quand j'ai entendu, lors du premier procès, le réquisitoire de huit années, c'était comme si je tombais dans un puits dont je ne toucherai jamais le fond et dont jamais non plus je ne sortirai. je me haïssais, parce que c'était ma faute ; et quoi qu'il ait pu faire, je l'ai toujours considéré comme la victime de ma mère.

Mon père a deux frères, Kobus et Harm. Je crois qu'il est l'aîné. Ils ont grandi au Moulin jaune, une grosse ferme près de Vaassen. C'était une famille d'ouvriers agricoles, à l'exception de mon grand-père qui était ouvrier-arpenteur (ce qui revenait à tenir le bâton des arpenteurs). Mon grand-père est mort d'une maladie pulmonaire, par contre ma grand-mère habite toujours dans cette maison du Moulin jaune. je ne la voyais pratiquement qu'aux anniversaires ; c'était exceptionnel lorsqu'elle venait le week-end. Je ne sais rien au sujet d'oncle Harm. Quant à oncle Kobus, il a aujourd'hui environ quarante-sept ans. Il a été au lycée moderne dApeldoorn et travaille maintenant comme aide-laborantin dans une fabrique de chocolat.

Le Moulin jaune est une ferme magnifique du début du siècle ayant appartenu à un banquier, M. Mees. Celui-ci a été exécuté pendant la guerre, probablement avec la complicité du gérant du Moulin jaune, membre du Mouvement national-socialiste. Quand mon père avait environ huit ans, la ferme était un repaire du M.N.S., les Allemands utilisaient les écuries pour les chevaux qu'ils avaient confisqués.

Après la guerre, la ferme a été achetée par la société Heide qui y a placé un autre gérant. Mon père a commencé à travailler pour lui directement à la sortie de l'école primaire ; il y a travaillé jusqu'à ce qu'il épouse ma mère en 1963 et qu'il aille habiter au Domaine où il était ouvrier forestier. Il aurait quitté le Moulin jaune parce que le gérant était une crapule qui n'arrêtait pas de l'humilier.

Après le départ de mon père, la ferme s'est considérablement détériorée. Mon père, très travailleur, assurait tous les travaux d'entretien, s'occupait des chevaux, élevait des canards, élaguait les arbres et bien d'autres choses encore. Il paraît qu'il était toujours gai, c'est aussi le souvenir que je garde de lui ; mais ce n'était qu'un côté de sa personnalité. Il chantait toujours des chansons comme Sari Marcis, Daar bij die Molen (Là près des moulins), et In de Bus van Bussum naar Naarden (Dans le bus de Bussum à Naarden) ; il chantait aussi aux mariages et aux fêtes.

Mon père a été éduqué de manière très rudimentaire ; il n'y avait aucun livre chez lui si ce n'est l'annuaire du téléphone, tout comme chez nous plus tard. Il n'avait pas d'amis, ne sortait jamais et il ne semble pas avoir eu de copine avant ma mère. On le voyait de temps en temps à la kermesse de Vaassen, rien de plus. Il adorait sa moto ; je pense que c'était là son unique bien et sûrement aussi ce à quoi il tenait le plus.

Avant ma naissance, les plus jeunes soeurs de ma mère venaient régulièrement dormir au Domaine. Et c'est ainsi qu'un jour mon père est allé chercher tante Roos avec sa moto et qu'il l'a violée dans le bois. Elle avait environ quinze ans. Elle l'a rapporté à son père et à sa mère qui ont immédiatement réclamé des explications à mon père. Il paraît qu'il aurait fondu en larmes et qu'il aurait dit: "Pourquoi donc ferais-je cela ?je suis quand même le mari d'une de vos filles ? " Ils l'ont cru et tante Roos a eu droit à un coup de pied au derrière. Grâce à ma déposition, elle a maintenant pris son courage à deux mains et elle a également fait une déclaration pour appuyer la mienne, mais, cet événement remonte à bien longtemps. je comprends maintenant pourquoi elle avait toujours une telle peur de mon père quand nous allions lui rendre visite. Elle n'osait presque rien lui dire. Mon père n'a pas reconnu ce viol. Selon lui, elle ne lui aurait fait qu'une branlette.

A l'époque où ma femme et moi habitions à la campagne et n'avions pas encore d'enfants, il est arrivé quej'aille chercher en moto la plus jeune soeur de ma femme, Roos, à Heerde. Issue d'une famille nombreuse, Roos ne disposait pas d'argent de poche. Elle m'a branlé trois ou quatre fois et je lui ai donné en retour de l'argent pour qu'elle puisse s'acheter un paquet de cigarettes. (..) Il s'est également passé des choses avec Helma et Coba. Elles sont aussi des soeurs de ma femme. (..) Elles restaient souvent dormir à

la maison. Le samedi soir, elles sortaient et je leur permettais de rentrer tard à condition qu'elles me fassent une branlette. (..) Cela s'est passé environ dix fois, dix fois avec chacune d'elle. (Arie, procès-verbal du 13/11/1990)

je suis née en avril 1968 au Domaine. Six mois plus tard, nous sommes allés habiter le Poelweg à Vaassen, parce que ma mère trouvait que nous habitions trop loin des magasins. J'ai habité jusqu'à onze ans au Poelweg. C'était une petite maison jumelée en bordure d'un champ et d'une voie de chemin de fer. C'est en fait un bel endroit, mais à cause de tout ce que j'y ai vécu, j'en suis dégoûtée. C'est là que tous les malheurs ont commencé.

je ne me souviens que de quelques fragments de cette époque. Petite fille, j'étais folle de mon père, qu'il me traite bien ou me maltraite. Lorsqu'il revenait à la maison sur sa moto, je courais à toute vitesse a sa rencontre. Il me prenait devant lui sur le réservoir et nous faisions un petit tour. je trouvais cela merveilleux.

J'ayais une famille standard: un père, une mère, une soeur et un frère. Je suis la plus jeune. Ma soeur a un an de plus que moi et Adriaan trois. Ma mère travaillait quelques matinées par semaine comme femme de ménage dans une cafétéria et aussi chez quelques particuliers. Elle était grosse, les cheveux gris permanentés, et était soi-disant toujours très malheureuse : elle n'arrêtait pas de se plaindre d'avoir mal au dos, au ventre, et de souffrir des poumons. Elle a longtemps consulté un spécialiste pour l'asthme et allait à l'hôpital pour un rien. C'étaient des moments bénis, car durant son absence il se passait moins de choses.

À mon avis, je devais avoir plus ou moins huit ans quand les rapports avec mon frère et mon père ont vraiment commencé. Dans leur déposition à la police, mes parents ont dit que les petits jeux sexuels avaient débuté- beaucoup plus tôt, mais de cette période d'avant mes huit ans, je ne me souviens plus très bien; j'ai des trous dans ma mémoire. je me rappelle seulement que ma mère nous prenait dans son lit lorsque nous étions encore très jeunes.

Comme elle était toujours souffrante, elle restait souvent au lit, mais le docteur ne décelait jamais rien. Nous devions la lécher et elle nous apprenait à la tripoter et à le faire aussi entre nous. je ne sais plus si je le faisais pour faire plaisir à,ma mère, ou si j'espérais qu'elle m'aimerait plus pour cela. C'est possible, toujours est-il que nous devions le faire, nous n'avions pas le choix. C'était quelque chose que ma mère me demandait et que je devais faire. On dit toujours qu'il faut obéir à ses parents.

Quand ma mère ne contenait plus son excitation, elle téléphonait à l'école pour nous dire de rentrer à la maison. Cela arrivait, je pense, au moins une fois par semaine ; elle trouvait par exemple comme excuse que je devais aller chez le médecin. À l'école, ils n'ont jamais eu de soupçons et moi, je n'ai jamais pensé que cela pouvait être anormal. je n'aurais pu m'en douter que si j'avais su comment vivaient les autres familles. Passer l'aspirateur, faire la vaisselle, tripoter ma mère, faire les lits : c'est seulement des années plus tard que j'ai commencé à me douter que quelque chose dans tout cela n'était pas normal. Mais sur le moment même, je trouvais cela tout à fait normal.

À six ans, je ne comprenais évidemment tien à l'excitation et au sexe, sans parler de l'orgasme. A propos d'orgasme, je n'ai jamais oublié une chose parce qu'elle m'a paru débile: un jour, nous étions couchés dans le lit de ma mère, soudain elle est devenue rouge cramoisi, elle a commencé à se secouer de manière très étrange, à se tortiller, à gémir et à crier. C'était la première fois; je ne comprenais vraiment rien; nous ne connaissions que ses crises d'asthme. J'étais stupéfiée, je pensais qu'elle était en train de mourir et que c'était de ma faute. Au début, je n'y prêtais pas vraiment attention. C'est seulement beaucoup plus tard, lorsque j'avais déjà douze ans et que j'avais vécu beaucoup d'autres choses, que je me suis rappelé ce qu'ils disaient. Et j'ai compris qu'il s'agissait là d'un orgasme. je connaissais déjà cela chez les hommes. Ils criaient toujours: "Ça y est, je jouis, je jouis !"

Je voyais bien qu'il leur arrivait quelque chose: ils devenaient rouges, pinçaient les yeux et faisaient de drôles de grimaces. À partir du moment oÙ j'ai fait attention, j'ai entendu un jour un client dire à ma mère: "Est-ce que cela vient? Est-ce que tu jouis ? " Ainsi c'était pareil chez les femmes. J'apprenais donc en jouant.

Mais je n'ai su tout cela qUe bien plus tard. Lorsque je regarde les photos de moi enfant, je me souviens seulement qu'avec des hommes étrangers, je faisais la morte, ne me demandez pas pourquoi. J'adorais autant Adriaan que mon père; mon frère et moi étions très proches l'un de l'autre. Il était grand, mince, avait les cheveux roux et je le considérais la plupart du temps comme un véritable frère. Il avait un émetteur radio avec lequel lui et les garçons du quartier jouaient; je trouvais cela super. Derrière la maison, il m'apprenait à tirer sur une cible avec une carabine à air comprimé. On allait nager ensemble, on écoutait des disques, on montait à cheval, on faisait tout ensemble. Adriaan avait une passion pour les chevaux, comme toute la famille d'ailleurs. Avant son arrestation, il travaillait comme bénévole dans un manège pour handicapés et il soignait les chevaux au Domaine.

Adriaan était mon dieu, ma soeur ne comptait dès lors plus à mes yeux. Elle ne me ressemble pas du tout physiquement, et depuis toujours, elle a porté des vêtements très différents des miens. Mes vêtements préférés étaient une paire de chaussures usées et un pull trop large ; encore maintenant c'est dans ces vêtements-là que je me préfère. Nous avions très peu de choses en commun, et n'en avons pas plus maintenant.

Ma soeur et moi avons toujours fait le ménage; du moins dès que nous avons été capables de tenir un balai. Nous faisions tout: aspirer, frotter, la lessive, la vaisselle, le repassage, les courses et la cuisine. Nous savions aussi confectionner le plat hollandais traditionnel : des pommes de terre, des endives et un morceau de viande. Ma mère nous avait appris tout cela; ellemême ne faisait presque rien. Quant à Adriaan, il ne faisait carrément rien, car il était le chéri de mes parents.

Ma mère n'était pas une personne très propre; lorsque j'ai quitté la maison, c'est devenu une porcherie. Lorsque je passe sous un pont de chemin de fer faisant en fait office d'urinoir, je ne peux m'empêcher de penser à la maison, où flottait une odeur semblable. Ma mère avait un dentier, mon père un chicot brun devant et une rangée de dents pourries en décomposition derrière. Il ne se lavait pas souvent les dents. Mes dents n'étaient pas non plus en très bon état, mais c'est pour une autre raison; je le raconterai plus tard. Après mon mariage., mes parents sont allés habiter Ganskamer. Il y avait des toiles d'araignée dans les W.C. et lorsque j'y suis retournée pour la dernière fois cinq ans plus tard, elles y étaient toujours. Avant, il était hors de question qu'on laisse une seule toile d'araignée. Il y avait dans l'entrée des cannes dans un bidon à lait peint; celles-ci n'ont pas fait long feu. Si par malheur ma mère tombait sur une toile d'araignée, elle prenait une canne et me battait.

Mon plus grand cauchemar, c'est ma mère. Déjà toute petite, lorsque j'entendais une sirène d'ambulance, j'espérais secrètement qu'il lui soit arrivé quelque chose et qu'elle ne revienne jamais plus. Très vite j'ai eu peur d'elle; l'atmosphère à la maison était toujours tendue et elle ne se détendait quelque peu que lorsque ma mère n'était pas là. Quand elle allait rentrer, j'attendais, la gorge serrée. je n'étais jamais sûre d'avoir bien travaillé, et je courais partout pour m4assurer qu'il n'y avait plus rien à faire, mais elle trouvait toujours quelque chose. C'est peut-être pour cela que maintenant je déteste tant faire le ménage ; sauf dans mes moments de dépression où je suis prise d'une frénésie de rangement.

Mes parents m'ont toujours battue. Ils me battaient quotidiennement. Si les tasses sales des invités restaient trop longtemps sur la table, c'était immédiatement une gifle ou un coup de pied. Un pétale tombé, un peu de terre laissée par le chien : tout était prétexte à punition. je recevais des coups aussi bien pour n'avoir pas fait le café, le repassage, mon lit que pour avoir fait pipi au lit. Pas besoin de motif. Me voir pleurer suffisait pour les mettre en colère ; cela les irritait au plus haut point.

Je préférais recevoir des coups de mon père que de ma mère, car celle-ci se mettait dans une sorte de rage quand elle me battait. Elle frappait vraiment fort et n'arrêtait que lorsqu'elle était fatiguée. Ce n'est qu'à la puberté que j'ai compris que frapper avait sur elle un effet d'excitation. Elle était secouée par un rire, étrange, comme un hurlement hystérique. je ne l'oublierai jamais.

À l'école du village, on a dû remarquer que j'étais une enfant battue, ne fût-ce qu'au cours de gymnastique et de natation. Tous les mercredis matin, toute la classe allait à la piscine du Coucou. J'avais de grosses taches bleues sur le dos, les bras et les jambes, ce genre de taches qui viraient chez, moi au vert et au jaune. J'étais si gênée que je m'en souviens encore. Lorsque toute l'histoire a été dévoilée, des professeurs de l'école ont dit qu'ils avaient eu quelques soupçons, mais qu'il ne suffit pas d'avoir des soupçons ! La seule chose qu'ils avaient dite à mes parents, c'était que je ne suivais pas très bien. Il n'était pas question que nous allions jouer chez des copains ou des copines, nous ne pouvions pas quitter la maison. je jouais devant la maison ou derrière dans le jardin; je pouvais ainsi l'entendre si elle m'appelait.

Envers les autres gens, ma mère était très chaleureuse, obligeante et serviable., et quand nous avions des visites, elle était toujours aimable et gentille. Dans ces moments-là, je pensais en la regardant que cette femme-là était ma vraie mère, et je haïssais les gens quand ils repartaient, parce qu'elle se transformait alors en sorcière d'un horrible conte. Une fois la porte refermée sur les derniers invités, je sentais l'anxiété monter en moi: ma mère se mettait à hurler,'à jurer contre nous, à nous frapper, et elle nous reprochait d'avoir été gentils avec elle en présence de telle ou telle personne. Malgré tout cela, ces moments étaient pour moi les meilleurs.- Plus tard, si des gens venaient nous rendre visite, j'adoptais un comportement agressif et méchant. Quel âge devais-je avoir?... Environ huit ans. Par exemple, lorsqu'une des soeurs de ma mère est venue un jour, je les ai interrompues sans cesse, renversant des choses " hurlant des injures. J'ai pensé qu'ainsi les gens pourraient voir qui était réellement ma mère. Mais elle est restée très gentille et n'a pas réagi. Une autre personne a cependant fait une remarque: "Pourquoi ne flanques-tu pas une gifle à cette enfant? Cela la corrigera."

C'est ce qu'elle a fait immédiatement après qu'ils furent partis. Elle me prenait, il est vrai, souvent sur ses genoux, mais c'était pour me palper partout et me serrer d'une façon bizarre. Cela me gênait car elle le faisait aussi en compagnie d'étrangers. Je voulais m'échapper le plus vite possible.

Je me souviens que durant les week-ends, mon père et ma mère restaient dans leur chambre à boire un verre tandis que nous, les trois enfants, jouions sur la table à Mens Erger_Je Niet "(Surtout ne t'énerve pas "). Ils ne formaient en définitive pas un si mauvais couple. Ma mère était le boss, voilà tout. On faisait toujours ce qu'elle disait, et mon père se rangeait toujours à son avis. Lorsqu'il y avait une dispute entre ma mère et moi, il la défendait toujours, malgré l'injustice flagrante. Par exemple, en visite chez une tante, un vase de fleurs est tombé au moment où je passais. Ma tante m'a tout de suite rassurée en me disant qu'elle aurait dû éloigner le vase. Ma mère est restée toute mielleuse chez ma tante, mais de retour à la maison, elle n'a pas manqué de me flanquer une raclée gigantesque. Elle prétendait que j'avais fait exprès de renverser le vase et mon père l'a crue. Il n'essayait jamais de savoir ce qui s'était réellement passé.

Marga Perk, l'ex-employeur de mon père au Domaine, a écrit au journal, avec quelques personnes, une lettre pour le défendre. Ce qu'elle écrivait à son sujet était vrai: mon père était un bon employé. Il s'occupait de tout l'entretien du Domaine, faisait souvent des heures supplémentaires et, à la maison, remplissait aussi son devoir. Il élevait des poules, des lapins et des perruches. Il se levait très tôt pour soigner les animaux et malgré cela arrivait toujours à temps au travail. jusqu'à la fin, il a travaillé six à sept jours par semaine, même si depuis des années ce n'était plus vraiment nécessaire : les clients rapportaient tellement d'argent...

Arie et Dime onit jouié penndant vingt-cinq ans une miascarade parfaite ; il était mon jardinier et elle était ma femme de métiage. Si, après une tempête, la gouttière était obstruée, il me suffisait d'appeler et il venait mne donner un coup de miaiîn. J'habitais en dehors du village et il venait à moto, même le samedi soir et par tous les temps. Il travaillait pour presque rieii et facturait beaucoup moins d'heures que le nombre effectivement passé. J'étais contente d'Arie. Il m'était très précieux. Il faisait tout pour moi, il suffisait que je dise un mot. J'e considérais cela comme de la fidélité. Avec du recul, je me rends compte qu'il rampait devant moi; il était en fait terrorisé par moi ; il savait que je n'hésiterais pas à intervenir si je découvrais quelque chose. Le plus terrible, c'est que je n'ai rien remarqué. C'est vraiment affligeant. Je m'en veux énormément. (Greetie Van der Ven, médecin naturopathe)

Les souvenirs que j'ai de mon enfance à Vaassen sont très flous; du moins les bons souvenirs. J'ai par exemple celui de ma mère prenant son bain de soleil toute nue, étalée dans le jardin; soudain on l'a entendue pousser des jurons : elle venait de recevoir une fiente de mouette. Dissimulées derrière le hangar, ma soeur et moi étions mortes de rire. Quant à moi, je me suis un jour fait mordre le derrière par un chien. Je voulais traire une vache dans la prairie du fermier chez qui j'allais toujours chercher le lait frais. Avant même que je sois parvenue à la hauteur de la vache, le bouvier était déjà à mes trousses. Une fois en lieu sûr, j'ai éclaté de rire, mais à la maison, j'ai ramassé une fessée parce que mon pantalon était déchiré.

Je ne me souviens d'aucun rêve, seulement de cauchemars. Lorsque j'avais environ sept ans, mon père M'a obligée à égorger une poule. J'ai d'abord dû la frapper violemment contre un poteau, ensuite la poser sur une sorte d'étal pour lui couper la tête avec une hache. J'étais si épouvantée que je l'ai lâchée - je trouvais cela trop horrible, je me sentais une meurtrière - et l'animal a commencé à courir sans tête. Cela a bien fait rire mon père. Moi, je ne l'oublierai jamais. Cet épisode m'a poursuivie pendant des mois, il revenait chaque nuit dans mes rêves. Je refaisais toujours le même rêve.


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