Chapitre 7 

L'été 1983, je me suis fiancée avec Wouter, j'avais quinze ans. Il travaillait dans une fabrique de boîtes de conserve et pendant ses moments de loisirs, il jouait dans un orchestre. Pas de la pop, vous devriez l'écouter, de la house music. Ils jouaient aux mariages et aux fêtes. La moitié de l'orchestre, c'était Wouter. Il chantait et jouait de l'accordéon et Bob était à la batterie. je n'avais rien trouvé à Wouter, mais ma soeur s'était mariée pour échapper à la situation familiale et je pensais que de cette manière, je pourrais aussi y échapper. Je ne savais pas encore que Wouter était aussi épouvantable que mes parents. Et même lorsque je l'ai su, j'ai cru que je pourrais le changer, une fois mariés. Et je me disais que même mariée je pouvais encore divorcer - comme tante Coba - et ainsi en finir.

Tante Coba était ma tante préférée du côté de ma mère. Après son divorce, elle a habité quelques mois chez nous. C'est ainsi que j'ai appris que l'on pouvait divorcer. Elle s'est disputée avec ma mère et elle n'est plus jamais revenue. Elle devait néanmoins savoir énormément de choses. Elle avait une chambre au grenier et elle a sûrement dû se poser plein de questions en voyant chaque fois des hommes sortir de ma chambre. Elle ne m'en a cependant jamais parlé.

J'ai rencontré Wouter pour la première fois au mariage d'un membre de la famille. Il était là avec son orchestre. Une semaine plus tard, un vendredi, il y avait la braderie à Epe. Wouter et Bob jouaient dans un café-restaurant. Ils se trouvaient à hauteur de la porte afin que les clients à l'intérieur et ceux de la terrasse puissent les entendre. Nous connaissions la propriétaire, nous n'avons donc pas eu de difficultés à entrer: tous faisaient partie de la même clique.

Ma mère a lié conversation avec Wouter en lui rappelant qu'ils s'étaient déjà vus au mariage. Il s'en souvenait. Elle lui a parlé longtemps. Il semblait vouloir quitter sa femme et elle lui a demandé s'il voulait entamer une relation avec moi. Elle m'a donc tout simplement offerte. Je préférais l'autre, le batteur. Je le trouvais chouette, mais il était malheureusement déjà pris. Wouter venait d'Elburg. S'il avait été originaire d'Epe, il aurait certainement refusé. À Epe, tout le monde savait ce qui se passait rue Martin Luther King. Nous étions tout simplement le bordel d'Epe : la moitié du village venait chez nous. Bref, je ne savais pas ce que ma mère était en train de manigancer avec Wouter, mais cela semblait manifestement lui convenir. Après avoir fini de jouer, il a demandé s'il pouvait me ramener à la maison. Moi, je le regardais stupidement: ramener à la maison sonnait tellement ringard. Je me disais: quel vieux schnoque! J'avais quinze ans et lui trente-trois.

Ma mère lui a donné l'autorisation.

Il m'a raconté qu'il avait décidé avec ma mere de venir habiter chez nous parce qu'il était sur le point de divorcer. Il m'a donc ramenée à la maison. Sur la route, il a dû dégueuler parce qu'il avait trop bu.

Tous les vendredis, j'allais avec mes parents à ce restaurant et là, je sautais au cou de Wouter de façon exagérée. Je voulais leur montrer que j'étais folle de ce type. Je trouvais que c'était un affreux bonhomme " mais je le faisais pour contrarier ma mère. Je pensais qu'elle voulait uniquement racoler un nouveau membre pour le club, j'ai donc fait comme si j'étais très amoureuse pour leur montrer qu'ils allaient se débarrasser de leur petite vache à lait. Cette comédie a un peu trop bien marché, parce que, deux semaines plus tard, il habitait chez nous. Aujourd'hui, je ne sais toujours pas pourquoi ils y tenaient et pourquoi ils nous ont fourrés dans les bras l'un de l'autre. Ma mère avait peut-être un oeil sur lui. Elle ne pouvait pas savoir à qui elle avait affaire, parce que c'est seulement quinze jours plus tard qu'ils lui ont raconté ce qui se passait chez nous. Pendant ces quinze jours, il ne s'est rien passé. Je me souviens de ces moments comme de merveilleuses vacances, parce que je ne devais coucher avec personne et qu'on avait vraiment l'air d'une famille normale. Lorsque des clients appelaient, ma mère disait que c'était impossible. Wouter et moi partagions une chambre. Au début il était très gentil avec moi, j'ai donc pensé que j'avais plutôt de la chance. Le sexe, avec lui, a tout de suite posé des problèmes. La première fois, il a dégueulé sur moi, il était complètement bourré. La deuxième fois, c'était dans un bois, il m'a couchée sur un monticule de fourmis rouges. Je ne sais pas s'il l'a fait exprès. Pour le reste, il était O.K. Il n'avait qu'un problème : à l'extérieur, il n'osait jamais exprimer ce qu'il voulait réellement. Lorsqu'il voulait par exemple un nouveau banc, il disait aux gens: "Yolanda veut un nouveau banc." Moi? En quoi ce banc m'intéressait-il ? J'étais aussi bien assise par terre.

Lors des petits jeux sexuels, par contre, il osait dire ce qu'il voulait. On voyait clairement qu'il était intéressé par tous les livres et les instruments qu'il y avait à la maison. Il était esclave du sexe. Il revenait à l'heure du déjeuner à la maison. Lorsqu'il rentrait le soir, il fallait tout de suite faire un petit jeu, et la nuit encore. Si je me souviens bien, il me sautait plusieurs fois par jour, sauf au début, parce qu'il se remettait d'une opération. Du temps de son ancienne épouse, il s'était fait stériliser. Mais il voulait des enfants, il s'est donc à nouveau fait opérer pour en avoir. C'était pour lui très difficile de ne pas pouvoir baiser avec moi durant cette période : ses couilles lui faisaient trop mal. Au départ, il n'était pas sadique. Tout ce qu'il a fait par la suite, ce sont mes parents qui le lui ont appris. Un soir, mes parents, l'ont mis dans la confidence et lui ont raconté ce qu'ils faisaient tous. À cela Wouter a répondu:

"Cela me semble bien, j'en ai de toute façon marre de cette vie banale. "

( .. ) Il se passait en fait les mêmes choses qu'auparavant. Par exemple Wouter baisait ma femme et nous nous faisions mutuellement une pipe. Cela se passait parfois à cinq, c'est-à-dire: ma femme, moi, Wouter, Yolanda et Adriaan. (..) J'ai remarqué aussi qu'Adriaan ne le faisait qu'avec Yolanda et Wouter. Il baisait avec Yolanda tandis qu'il branlait en même temps Wouter et qu'il lui faisait une pipe. Tout cela se passait parfois sans l'accord de Yolanda. Plus tard nous avons tous trouvé tout cela bien. Yolanda opposait moins de résistance. (..)

(Arie, procès-verbal du 18/10/90)

À partir de ce moment, il a participé, mais je m'accrochais à l'espoir que, quand nous habiterions seuls, tout changerait. Quand nous nous sommes fiancés, je l'ai persuadé de partir vivre tous les deux ensemble. C'était l'hiver de 1983 à 1984. Nous avons d'abord habité quelques mois dans une caravane en résidence dans un camping. Ensuite, nous avons habité chez un particulier, dans un poulailler réaménagé. La caravane a été vendue et nous avons dû quitter le poulailler parce que des touristes y venaient. Nous sommes donc retournés chez mes parents.

La vie, rue Martin Luther King, n'était faite que de sexe, de sexe et encore de sexe, avec un défilé interminable de clients. En dehors du sexe, il n'y avait aucune vie sociale. En ce qui concerne le ménage, ma mère ne levait pas le petit doigt. Le matin, elle lisait le journal et, durant la journée, elle allait au Kwebbelkelder recruter des clients. Mon père allait à son travail, s'occupait de ses animaux et regardait tous les soirs le journal de vingt heures. Je faisais les courses, le ménage et je servais les clients. À l'occasion des anniversaires, on faisait quand même quelque chose, mais quand c'était le mien, cela ne comptait pas. Adriaan recevait pour son anniversaire des outils, des disques et toutes sortes de choses super. Quant à moi, je recevais des instruments S.M. que je n'avais pas demandés : des fouets, de la lingerie, des anneaux pour le pénis, des vibromasseurs, des agrafes, et des habits en cuir. Je devais dire aux gens de la famille qui venaient en visite que j'avais reçu de l'argent. Mes parents étaient toujours très accueillants pour la famille, comme si de rien n'était. Ils se comportaient aussi comme cela envers les gens qu'ils craignaient un peu. Mon père était un homme très cordial au-dehors. Il était disponible pour chacun et travaillait jour et nuit. Lorsque quelqu'un déménageait, il venait l'aider à peindre ou à arranger le jardin. Lorsqu'il était de retour à la maison, il nous aidait aussi. Mon père était vraiment quelqu'un de bon, alors que ma mère faisait semblant d'être généreuse. Elle faisait certes des choses pour les autres, mais elle attendait toujours quelque chose en retour.

On entend souvent à propos des auteurs d'actes incestueux : " C'est un homme si gentil, si correct, nous n'avons jamais rien remarqué, ce n'est pas possible qu'il ait pu faire cela. " Ils ne frappent jamais l'attention. Il s'agit souvent de gens tout à fait " normaux ". L'examen de trente des pires criminels sexuels en Amérique a montré que bon nombre d'entre eux sont des gens normaux, menant une vie d'apparence respectable et chez lesquels l'entourage n'a jamais rien remarqué de bizarre. Toutefois, vingt-deux d'entre eux étaient coupables d'au moins trois cents meurtres. (Prof. Van der Hart)

Les moments passés dans les maisons de vacances n'ont pas changé grand-chose. Mes parents avaient donné leur autorisation pour que je puisse sortir, mais à condition que je reste à la maison les week-ends, de nombreux soirs, et la journée pour servir les clients. Si je ne le faisais pas, je devais rentrer à la maison. J'étais, il est vrai, mineure. On m'a aussi retirée de l'école d'apprentissage ménager, parce qu'un homme, Wouter, s'occupait de moi. Cela me faisait râler parce qu'on m'enlevait du même coup une possibilité de m'échapper. À la maison, ils ne me quittaient pas des yeux. J'étais souvent coincée, mais c'était déjà bien qu'on me laisse partir après m'être occupée des clients. Je trouvais cela très triste d'avoir dû quitter l'école d'Apeldoorn, parce que j'avais des amies et qu'à cette époque, j'avais fait la connaissance du super chauffeur de bus, Arie Willems, que j'appelais Guppie. Je n'ai plus pu le voir.

J'avais révélé l'une ou l'autre chose à l'école, d'abord au chef du département et ensuite au directeur. Je leur avais dit qu'à la maison, je m'étais fait avorter. Les conversations se sont déroulées de manière idiote.

"Oh là là, c'est trop con ce qui t'est arrivé. " "Oui, mais je ne le voulais pas, en fait." "Oui, tu devrais en discuter avec tes parents. " Cela ne m'a pas beaucoup avancée. Je n'avais pas de discussions avec mes parents, si ce n'est des engueulades.

Des professeurs savaient aussi que j'étais enceinte et qu'à la maison, on abusait de moi. Oui, c'était grave, mais ils ne savaient pas non plus très bien quoi en penser. Ils auraient pu s'informer, ils l'ont peut-être fait, mais je n'en ai eu aucun écho. Je peux imaginer que cela n'avançait à rien de s'informer auprès de mes parents ou de la police. Les professeurs n'osaient, je pense, rien faire. À l'école d'apprentissage ménager, une fille est devenue pour moi une amie vraiment très chère, après une dispute violente. Il s'agit de Koosje Doever, la fille de Hannes et Truus. Je la connaissais déjà, l'ayant vue au Laarenk. Mais je ne l'aimais pas à l'époque. Son père faisait déjà partie des habitués du club S.M. C'était un petit bonhomme dégueulasse qui travaillait dans les transports de viande. Il ne savait ni lire ni écrire. Ils ont essayé deux fois de lui apprendre, mais il ne peut toujours que recopier des caractères imprimés. Koosje et sa soeur faisaient partie d'un groupe de majorettes dont le président habitait à côté de chez nous. Nous jouions souvent devant sa maison avec un groupe de filles et il suffisait que je voie Koosje pour que je me dispute avec elle : c'était très bizarre. Je ne me doutais bien sûr pas du tout qu'il se passait la même chose chez elle que chez moi. Heureusement, sinon j' aurais vraiment pensé que tout cela était nor-mal. À l'école d'enseignement ménager, nous faisions beaucoup de choses ensemble. Mais nous ne sommes devenues des amies de coeur que le jour où je lui ai sauté dessus parce que j'avais appris par un témoin qu'elle m'avait traitée de pute. J'ai été appelée chez un professeur.

Il m'a demandé: "Pourquoi fais-tu cela? Elle est quand même ta meilleure amie."

"Parce qu'elle m'a traitée de pute. Même si c'est vrai, elle n'a pas à le dire. "

"Comment cela, c'est vrai ? En es-tu certaine "Oui, mes parents le disent aussi. Je sais parfaitement ce que putain signifie. "

Je lui ai donc expliqué que je couchais avec tout le monde et que ma mère en tirait de l'argent. Il m'a regardée d'un air ahuri. Il n'est jamais intervenu. Il se comportait de manière exagérément gentille envers moi, mais rien de plus. Koosje et moi ne nous sommes pas parlé pendant deux jours, mais une fille de sa classe est venue me dire:

"Est-ce que tu sais que Koosje est maltraitée chez elle et que c'est très dur pour elle ? "

J'ai été trouver Koosje pour lui présenter mes excuses, et c'est ainsi que nous avons entamé une conversation; nous nous sommes raconté un tas de choses à propos de ce qui se passait chez nous.

Enfin, j'avais rencontré quelqu'un qui vivait la même horreur que moi. Cette amitié a été la plus belle chose que j'ai vécue pendant ces années.

Et à partir de ce moment, nos parents ont fait des choses dégueulasses avec nous deux.

Si un soir il y avait trop de clients, Koosje venait à la rescousse. Ma mère ne lui refilait pas les habitués, parce qu'elle avait bien trop peur de les perdre. Il y a eu énormément de querelles d'argent. Les parents de Koosje préféraient que cela se passe chez eux et ma mère chez nous. Les bagarres se sont tellement envenimées qu'ils menaçaient chacun à leur tour d'avertir la police. Ces menaces ne se concrétisaient évidemment jamais : ils étaient tous fautifs et la police était également impliquée. Koosje n'en pouvait plus et fuguait souvent. Un agent de police très gentil, Herman Veldman, a alors fait en sorte qu'en mars 1983 elle soit provisoirement conduite dans un centre d'accueil à Apeldoorn. Elle a demandé si je pouvais les y accompagner, ce que j'ai fait.

"Je les vois encore dans mon rétroviseur, toutes les deux sur le siège arrière : Koosje et Yolanda dans les bras l'une de l'autre. Leur grande amitié était évidente. Lorsqu'elles ont dû se séparer, elles ont fondu en larmes; je n'oublierai jamais cette image. Ce n'est qu'après coup que j'ai compris pourquoi. Je ne savais en fait rien de Koosje, si ce n'est qu'elle faisait souvent des fugues. C'est pourquoi j'avais demandé une place pour elle à De Enk, et c'est là que je l'ai emmenée en 1983. Je ne savais rien non plus de Yolanda, seulement qu'elle avait des problèmes à la maison. " (Herman Veldman, policier à Epe)

Un an, après ma propre déposition, j'ai aidé Koosje à porter plainte contre ses parents. Son père s'en est tiré avec le sursis. C'est incroyable, après tout ce qu'ils lui ont fait subir. Le verdict n'aurait pas été plus sévère s'ils l'avaient obligée à nettoyer les vitres. Cela ne m'étonnerait pas que son père ait menacé de dénoncer les policiers s'il était lourdement condamné. À partir de ce moment-là, Koosje a été placée dans ce centre. Là, à nouveau, on l'a importunée. Au début de l'année 1984, elle s'est échappée et s'est réfugiée chez moi. Elle savait très bien ce que je vivais, mais j'étais son unique amie et elle pensait qu'à deux nous serions plus fortes pour affronter toute la bande.

De plus, elle partait du principe que mes parents et les siens ne devaient plus avoir aucun contact, et en cela elle avait tort. Ses parents étaient ravis qu'elle habite chez nous: c'était une façon de l'avoir à nouveau en leur pouvoir.

Elle ne pouvait pas s'échapper. Au début, elle en aurait sans doute eu la possibilité, mais par la suite, Adriaan est resté presque jour et nuit avec elle. À cette période, elle devait coucher dans sa chambre; il lui trouvait quelque chose, mais ce n'était pas réciproque. Et quand mon frère partait, ma mère la tenait à l'oeil. Si, à son tour, ma mère partait, quelqu'un d'autre la surveillait. Elle pouvait sortir, mais jamais toute seule.

Koosje a vécu la même histoire que moi. Ahrend et De Vos ont aussi abusé d'elle. C'est bien évidemment pour cette raison qu'à Epe, si peu de cas d'inceste et de viols ont été dénoncés. Retrouver, en face de soi dans le bureau du commissariat, deux des violeurs... Combien de dépositions ont dû être passées sous silence ? Koosje aussi a eu des policiers comme clients. J'ai pu voir De Vos et Wolff en train de sauter Koosje, et elle a pu voir De Vos en train de me sauter. Six ans plus tard, dans la rue de la Loi, elle a surpris Ahrend couché sur moi. Cela remonte à l'époque du premier procès, et Koosie a maintenant témoigné officiellement de ce qu'elle avait vu. Elle a dit: "Plein de choses me sont revenues en mémoire. Mais lorsque j'ai voulu porter plainte, la justice n'a pas suivi ", alors que la justice agit comme si Koosje n'avait pris aucune initiative. Elle a appelé plusieurs fois le bureau d'investigation pour faire une déposition; à chaque fois on lui a répondu que les deux affaires devaient être traitées séparément et qu'on la recontacterait plus tard. Elle est récemment tombée sur un article annonçant que l'enquête était close ; furieuse, elle a rappelé le bureau, mais on lui a répondu que, de toute façon, sa déposition importait peu. Herman Veldman, avant d'entrer dans la police, travaillait au service d'assistance sociale. Au commissariat, le fait qu'il ait gardé le contact avec Koosje lui a attiré des emmerdes. Pas besoin d'être une lumière pour comprendre pourquoi il eu des emmerdes, et avec qui.

J'ai toujours gardé le contact avec Koosje. Cela ne m'a pas valu la reconnaissance de mes chefs directs. Ils me demandaient de jouer non pas le rôle d'assistant social, mais celui d'agent de police. Après coup, je me reproche de n'avoir pas mieux réagi aux signaux discrets que Koosje et Yolanda m'envoyaient, de ne pas avoir posé plus de questions. Si je m'étais douté alors de ce qui se passait réellement chez elles, j'aurais creusé l'affaire. J'en ai certainement eu l'occasion, mais la pensée de l'inceste ne m'a stupidement jamais traversé l'esprit. Koosje m'a confié récemment qu'à l'époque elles n'osaient rien me dire, car elles craignaient de mattirer des problèmes dans mon boulot. Je suis persuadé qu'elles ont vécu toutes les deux les choses les plus horribles ; je les ai toujours prises au sérieux. " (Herman Veldman)

Koosje habitait à la maison lorsque Sjon et Sanne ont été tués. Elle était occupée avec Adriaan, si bien qu'elle n'a pas. été témoin du meurtre ; mais elle savait bien sûr que j'étais enceinte et que je devais accoucher. Pendant toute ma grossesse, seul le docteur Pligter a pu m'examiner. Il m'avait déjà dit à l'automne 1983 que j'attendais des jumeaux; j'étais au quatrième mois. Mes parents m'ont alors retirée de l'école. Il y avait suffisamment de personnes qui savaient que j'étais enceinte : je ne l'ai pas caché. À l'école, à la maison, les voisins, la famille, les amis, les connaissances, tout le monde le savait, mais personne n'a jamais osé dire quoi que ce soit.

Jusqu'à la fin, je n'ai pas su ce qui arriverait à mes enfants. J'ai demandé à ma mère pourquoi nous n'achetions pas de layette. Quand elle m'a dit que ce n'était pas nécessaire, j'ai compris que mes enfants me seraient enlevés, mais je ne savais pas de quelle manière. J'ai bien sûr demandé si je pouvais les garder, mais je n'ai jamais reçu de réponse ; cela ne servait à rien de les assommer de questions, j'allais bien voir, ce n'était pas si grave. je redoutais qu'il se passe quelque chose d'horrible, comme avec Jamy et Melany; mais parce que j'avais Wouter, je pensais que je pourrais peut-être garder mes enfants. Lorsque ma grossesse a commencé à se voir vraiment, ma mère m'a interdit de sortir seule dans la rue.

J'ai donc profité en secret de mes enfants et de chaque jour qu'ils passaient en moi. Il y avait tant de solutions possibles : ils pourraient grandir dans une autre famille, être abandonnés en vue d'une adoption, être envoyés dans un home. Lorsque j'ai su que j'attendais des jumeaux, j'ai acheté en cachette deux petits singes en peluche à Apeldoorn. je les ai cachés, sinon ma mère me les aurait pris de force. J'ai encore ces petits singes, ils sont au-dessus de mon lit. C'est la seule chose qui me reste de Sjon et Sanne. Cela s'est passé le 4 mai 1984. je me souviens de la date parce qu'on célébrait ce jour-là la Commémoration des morts. J'ai toujours donné des noms à mes enfants morts, ils y ont droit même s'ils ont si peu vécu; moi comme mon entourage savons qu'ils ont existé ; je les ai vus, je sais que c'étaient un garçon et une fille. je trouverais affreux de devoir parler d'eux de manière impersonnelle. Lorsque je me suis trouvée une nouvelle fois enceinte, j'ai dit à mes parents : "Je ne veux pas que ce qui est arrivé à Sion et à Sanne se reproduise ", car pour moi il s'agissait de personnes, et par conséquent je ne pouvais pas dire "que cela se reproduise ". Mes parents n'étaient pas du même avis, pour eux c'était simplement " cela ". Ce qui était passé était passé, ils n'en parlaient plus et trouvaient idiot de lui donner un nom.

Le soir, j'ai eu des contractions, j'ai senti que les enfants vivaient dans mon ventre. On a appelé le docteur Pligter et cela s'est passé dans la chambre de mes parents. Ils avaient un lit en bois qu'ils avaient spécialement rehaussé pour l'occasion. Il y avait toutes sortes d'instruments pour un accouchement normal. Ma mère, mon père, Hannes et Truus Doever étaient présents, Bert Akkerman se trouvait aussi dans la maison mais n'a pas assisté à l'accouchement, Wouter non plus - je ne me souviens plus où il était.

Le docteur Pligter m'a aidée à mettre les enfants au monde tandis que ma mère m'expliquait comment respirer. Les autres regardaient. Le docteur Pligter a coupé le cordon ombilical et j'ai vu un enfant dans les bras de ma mère. C'était un petit garçon. Il hurlait et je le voyais bouger. Le deuxième enfant était une fille et Pligter l'a aussi donné à ma mère. Ils sont sortis de la chambre avec les bébés, mais je ne sais pas dans quel but. Pligter m'a examinée : il n'y avait aucune complication, alors il a rangé ses affaires.

Quand ma mère est revenue avec les bébés enveloppés dans une serviette, j'ai pu voir nettement que tous les deux étaient encore en vie. Pligter a pris un autre sac. Ma mère a couché les enfants à côté de moi sur le lit. Elle m'a dit: "Si tu veux garder tes enfants, tu dois faire ce que je te dis. "

J'ai fait un signe de la tête; je pensais que cela signifiait collaborer désormais à tout ce qu'ils voudraient faire avec moi. Mon père m'a attachée sur le lit par les poignets et les chevilles avec des courroies qu'ils utilisaient toujours à cette fin.

Ma mère a dit: "Il est préférable que tu ne voies pas cela. " Elle m'a noué un bandeau de cuir noir devant les yeux.

Môn père a demandé: " Veux-tu aussi le faire ? "

J'ai pris peur et j'ai crié: "Non! "

Ma mère a dit: "Tu peux en avoir un sur ton ventre. "

Je n'avais sur moi qu'un T-shirt qu'elle a soulevé. Es ont mis un des bébés sur mon ventre. J'ai cru comprendre que c'était le garçon. Il était nu. Mon père m'a demandé comment je le trouvais. je n'ai rien répondu. Mon père exigeait que je réponde, sinon il m'y forcerait. Derrière lui, j'entendais Pligter discuter avec ma mère. À un moment mon père a dit quelque chose comme:

"Si je n'obtiens aucune réponse, je m'arrange pour qu'il n'y ait plus de petit garçon. "

Ma mère a dit: "Il est de toute façon beaucoup trop menu. " Le docteur a expliqué à mon père quel instrument il devait prendre dans le sac, et au bruit qu'il faisait, j'entendais qu'il bricolait. Ma mère a dit plusieurs fois ce genre de phrases :

"Mais fais-le, Arie. Elle n'en vaut quand même pas la peine. " je sentais le bébé bouger et j'entendais de faibles bruits, mais soudain il a poussé des cris perçants. Mon père avait fait quelque chose à l'enfant. Je sentais un liquide chaud couler sur mon ventre et les cris continuaient. je leur ai crié d'arrêter. je pensais continuellement à ce que ma mère avait dit: il avait réellement amputé le pénis de mon fils. Ma mère s'est mise à rire comme une hystérique.

Après quelques minutes, les cris aigus de l'enfant se sont soudain arrêtés. J'ai senti encore quelques secousses et puis plus rien. je ne l'entendais plus. Je pensais qu'il était mort après avoir perdu tout son sang. Il y a eu un moment de silence, ensuite ma mère a dit quelque chose comme: "C'est réussi."

Quelqu'un m'a enlevé le bébé. Mon père a dit:

"Je ne veux plus jamais faire cela."

Pligter a dit à mon père qu'il avait trouvé cela parfait, mais ma mère l'a traité de lâche. Elle comptait agir ellemême. J'ai compris que viendrait le tour de mon deuxième enfant, mais je n'étais plus capable d'aucune réaction. La petite fille était encore couchée à côté de moi, je la sentais bouger.

Ma mère a demandé à mon père par où elle devait commencer. Il n'a pas répondu. J'ai entendu une discussion avec Pligter, puis ma mère m'a demandé ce que je voulais. Je devais donner mon avis! je suis parvenue à articuler que je voulais garder l'enfant, mais ma mère a répondu que c'était impossible et interdit. Elle a précisé qu'elle commencerait par le cou. J'ai immédiatement entendu le bébé hurler. Mais cela n'a pas duré longtemps. je l'ai senti gigoter contre ma cuisse gauche et puis plus rien. Doever a ensuite coupé en morceaux les petits cadavres avec une scie à guichet. Pligter a dit quant à lui qu'il emporterait "les petits ".

Pendant tout ce temps, je suis restée attachée, les yeux bandés. Personne ne m'a lavée. Je pense que Pligter et mon père ont tout rangé et sont partis. Bert Akkerman est venu dans la chambre, j'ai entendu sa voix qui me demandait: "Cela t'a-t-il plu? "

Ma mère lui a dit qu'il pouvait faire ce qu'il voulait. Il a commencé à me battre avec un fouet en cuir et m'a ensuite violée. Quand il a eu fini, il est parti aider mon père. Ma mère m'a détachée et a enlevé mon bandeau. C'était vraiment répugnant. J'étais couverte de sang, comme le lit et le sol à côté du lit. Il y avait des excréments et cela puait la pisse et l'alcool. Ma mère a dit qu'il allait de soi que je tienne ma langue. J'ai enfin pu me doucher. J'étais complètement sous le choc, mais petit à petit je me suis rendu compte que mes deux enfants avaient été tués. je n'osais rien raconter à personne, parce que je craignais pour ma vie : si mes parents étaient capables de tuer des bébés, ma vie non plus ne valait pas grand-chose. Plus tard, j'ai compris qu'ils avaient dû longuement préméditer ce meurtre.

Les voisins de l'époque prétendent qu'ils n'ont jamais rien remarqué. Rue Martin Luther King à Epe, je suis un jour sortie tôt le matin. Mon père n'était pas encore parti travailler; j'ai couru au milieu de la rue en criant, et j'ai vu la voisine regarder par la fenêtre. je hurlais à mes parents restés sur le seuil de la porte:

"Vous n'êtes que de sales putains ! Des assassins

Je hurlais tout ce qui me passait par la tête. Et les voisins n'auraient soi-disant rien remarqué. Un agent de police habitait de l'autre côté de la rue. je criais juste devant sa maison. Il y avait un va-et-vient constant chez nous, mais comme par hasard, personne ne se souvient de rien.

Les meurtres de mes bébés stimulaient vachement les Doever. À l'époque du meurtre de Sion et Sanne, Koosje aussi était enceinte. Ses parents ont manifestement pris goût à la chose car peu après le meurtre de Sjon et Sanne, ils ont provoqué son accouchement et tué son bébé de la même manière. Cela s'est aussi passé à la maison. Ses parents, mes parents, mon frère et le docteur étaient là. je n'en dirai pas plus, car il faut d'abord qu'elle fasse elle-même une déclaration. J'aimerais tant qu'elle en ait le courage. je témoignerai pour elle parce que j'y ai assisté. je ne pense pas lui avoir été d'aucun soutien, car quand il vous arrive ce genre de chose, qu'on tue votre bébé, personne ne peut vous être d'aucun secours.

Koosje a encore habité chez nous quelques mois. Puis ma mère a téléphoné à Greetje Van der Ven pour se plaindre. Elle a prétendu qu'il était très difficile pour elle que Koosje habite chez nous. Greetje était une femme d'action, elle n'a donc pas tardé à venir la chercher pour la ramener au home d'enfants; sans rien savoir du reste de ce qui se passait réellement chez nous. Elle l'a fait pour décharger ma mère, qui n'avait pas prévu cela, mais c'était trop tard, elle ne pouvait pas revenir en arrière. Elle a donc joué le jeu sans se démonter, Koosje a habité au home jusqu'à son mariage.

Lorsque j'habitais avec Wouter dans la caravane, j'étais'devenue sa pute. Les clients venaient. L'hiver, il faisait si froid que les couvertures chauffantes gelaient sur les cloisons. Un jour, Wouter a glissé en sortant du lit ; j'étais pliée en quatre. On pouvait patiner sur le sol : l'eau de l'écuelle que le chien avait renversée était gelée. Quand nous avons quitté la maison de vacances rue Heerder, le propriétaire nous a appelés, furieux, parce que le lit double était complètement disloqué, à croire que nous avions baisé comme des bêtes. Il ne croyait pas si bien dire. Nous baisions même parfois à plusieurs en même temps. Nous avions projeté d'y retourner, mais ce n'était plus nécessaire, car nous avions acheté une maison à Elburg.

Le 31 décembre 1985, nous nous sommes mariés à Epe; nous habitions depuis l'été à Elburg. Wouter m'a donné' l'alliance de son ex qu'il avait fait rétrécir, et il en a acheté une nouvelle pour lui. Tout est allé de travers. Carla et Mart, des amis de Wouter, devaient orner leur grosse Mercedes de fleurs. Je suis allée avec Carla chez mes parents mais nous sommes arrivés en retard, et les hommes ont eu une panne en chemin; lorsque enfin ils se sont pointés, la décoration de fleurs bleues et blanches ne leur convenait pas. Pour ma part, je m'en foutais, mais ils ne la trouvaient pas bien ; je n'avais rien à dire. Je portais une robe de grossesse parce que j'étais déjà à mon septième mois. Nous devions être à la mairie à dix heures moins le quart, nous y sommes arrivés avec une demi-heure de retard. La salle des mariages n'était même pas prête ; en fait, tout le monde avait oublié qu'il devait y avoir une cérémonie. Il n'y avait aucun représentant de l'état civil; on a dû en trouver un en catastrophe, et nous nous sommes mariés dans une petite annexe. Une nièce de ma mère et mes parents me servaient de témoins. Les photos sont réussies jusqu'au moment de la signature, les autres sont complètement ratées. Après la cérémonie, nous sommes allés dans un restaurant chinois., mais ils n'avaient pas prévu autant de couverts. Nous sommes ensuite allés chez Carla et Mart pour continuer la fête. Mon père, bourré, est tombé de la voiture. Quand Wouter et moi sommes rentrés la nuit à Elburg, les chiens avaient fait tellement de vacarme que les voisins avaient ameuté la police.

je trouvais cela comique. Pendant toute la journée, j'ai eu beaucoup de peine à me retenir de rire. Ce mariage a complètement foiré et pour moi, c'était le signe que notre couple ne tiendrait pas. Malgré cela, je voulais absolument vivre avec Wouter pour m'échapper. Je ne savais pas encore à quel point ce serait hor-rible. Mes moments passés à Elburg ont été les plus atroces.


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