Max, le premier de mes fils qui ait survécu, est né le 4 mars 1986. je n'avais pas encore dix-huit ans. Wouter et moi habitions Elburg, dans une maison contiguë au Boeg. Après coup, je comprends que cette naissance a été une étape dans ma vie, ce que je n'ai pas réalisé à l'époque. Mes enfants m'ont finalement donné le courage de m'en sortir, bien qu'il m'ait encore fallu quatre ans pour y parvenir. Quand nous sommes arrivés à Elburg, j'espérais être enfin libre. Mais Wouter s'est révélé aussi terrible que mon père et ma mère; je ne désespérais pourtant pas, une fois seule avec lui sous le même toit, de le changer. je n'avais jamais espéré l'épouser et quitter mes parents, pourquoi ne pouvais-je pas réussir aussi cela ? Mais je n'ai jamais eu de prise sur lui; il était encore pire que mes parents. À Elburg, j'ai commencé à me révolter. On ne savait soi-disant pas par quel bout me prendre. J'avais appris à tout cacher: peine, angoisse, nausée, honte. Ils M'électrocutaient, me cuisinaient avec des lames de couteau, ils écrasaient des cigarettes sur moi et me défiguraient: on s'habitue à tout, ce n'était pas cela que je craignais le plus. Je ne me suis jamais habituée aux avortements et aux meurtres de mes enfants, j'en avais au contraire de plus en plus peur. Finalement, c'était leur seul moyen de me déstabiliser. Enceinte de Max, j'ai rassemblé tout mon courage pour faire appel à une accoucheuse. Doortje habitait en face, elle aussi était enceinte. Une accoucheuse, Marja Boissevain, est un jour venue chez elle. J'épiais Doortje, et, quand elle allait se promener dans la rue avec sa poussette, je me disais que tout allait bien: si elle se promenait dehors avec cet enfant, on pouvait faire confiance à l'accoucheuse. Je ne faisais jamais confiance aux inconnus... ni à vrai dire aux gens que je connaissais bien. J'avais très peur de faire appel à une accoucheuse, car celle-ci s'associerait peut-être au "club", et les sages-femmes savent comment faire mal. Et si Wouter s'en mêlait? Voilà quelles étaient mes pensées à ce moment-là, forte de mon expérience avec la police, le médecin, le dentiste, et beaucoup de gens encore. C'était exaspérant, mais j'ai quand même risqué le coup. je l'ai avertie que j'étais enceinte, et j'ai pris rendez-vous pour un contrôle. Ainsi, Max a survécu. Je l'ai dit à Wouter dès qu'il est rentré de son travail. Il était de mauvais poil. Il a dit: "Nous allons bien voir, peut-être vais-je décommander le rendez-vous." Mais tel n'a pas été le cas. je m'y suis rendue, avec Wouter qui m'accompagnait toujours, veillant à ce que je n'ouvre pas la bouche. Il m'a menacée en prétendant que l'enfant pouvait encore m'être enlevé, et c'est ainsi qu'il m'a eue. Ma mère a piqué une colère dès que Wouter lui a appris la nouvelle. Elle fulminait, jurait et donnait des coups. Je ne me rappelle plus de tout ce qu'elle a vociféré. Ils fulminaient parce que j'avais informé Marja, mais ils ne pouvaient rien y changer. Ils m'ont fait promettre que la prochaine fois je les préviendrais en premier. J'ai répondu que je ne le pouvais pas, n'en étant pas moi-même informée. J'en ai encore reçu plein la gueule: ils m'ont jetée dans l'escalier et m'ont donné des coups de pied d'une telle violence que j'ai à peine pu me relever. Ils pouvaient tout me faire : cet enfant, je l'avais pour de bon. Chaque enfant dont je signalais la venue à Maria était de moi, seulement de moi. Elle n'était au courant de rien, mais elle a bien dû se douter de l'une ou l'autre chose. J'ai un jour piqué une crise d'hystérie à la suite d'un examen interne. J'avais des contractions prématurées et un ventre dur. J'étais très grosse, si bien que je pensais attendre à nouveau des jumeaux. Alors j'ai dit à Marja: "Avec ceux-ci, il arrivera la même chose qu'avec les autres jumeaux!" Elle n'a pas compris, mais elle m'a quand même laissée pleurer; quel bonheur... J'ai bien compris qu'elle ne pourrait pas placer l'enfant. Au début, elle est venue souvent, plus souvent que chez Doortje. Elle comprenait vraisemblablement l'importance de ses visites, et ma crainte que quelque chose ne tourne mal, même si elle ne m'a jamais interrogée à ce sujet. Pendant l'accouchement, Wouter a fait semblant d'être content, mais il se moquait de Max: il ne le prenait dans ses bras qu'en présence d'autres visiteurs. Après l'accouchement, lorsque nous sommes restés seuls, il m'a dit: "Nous avons maintenant un emmerdeur, qui me met à bout de nerfs ; il va falloir laisser tomber un tas de clients." Il m'a récupérée, et s'est empressé de racoler le plus possible de nouveaux clients. Mon père était assez gentil avec les enfants ; encore maintenant, ils l'appellent "Bon-papa chéri". S'il venait à moto, ils couraient à sa rencontre - comme moi auparavant - parce qu'il leur apportait toujours un cadeau. De leur grandmère, ils ne parlaient jamais. Wouter a menacé de tuer Max, mais il n'a jamais osé. Max a aujourd'hui sept ans. L'arrivée à Elburg n'a pas changé grand-chose, Wouter ayant repris "l'entreprise et le mobilier" de mes parents. Les petites fêtes S.M. continuaient, pire encore, et les clients habituels venaient comme auparavant. Si je devais aller dans des voitures garées sur un parking, Wouter m'accompagnait, non pour me protéger mais pour encaisser. Il me protégeait tout au plus contre la mort. Le groupe des sadiques s'élargissait; il y avait toujours des habitants d'Epe, il y en avait aussi qui le quittaient. Par exemple, on ne voyait plus le docteur Pligter. je ne savais pas s'il s'était passé quelque chose, mais mes parents ne voulaient pas qu'on dise du mal de lui. Je devais retourner plusieurs fois par semaine à Epe, pour satisfaire les clients de ma mère. Ils gagnaient donc tous les trois de l'argent grâce à moi. Plus tard, j'ai eu un vélo. Quand mes parents sont allés habiter à Ganskamer, les fêtes ont continué, et on venait pour un rien chez nous. Les fêtes se déroulaient plusieurs fois par semaine. Wouter est toujours resté en bons termes avec mes parents, il l'est encore maintenant. Mais il voulait être le chef et ne pas partager tout l'argent avec ma mère. À Elburg, j'ai perdu l'illusion de pouvoir un jour le changer, mais pas le rêve de partir. J'y pensais constamment, sans en parler à personne. J'ai commencé à essayer de me construire un petit peu de vie privée. Dans le journal, il y avait une annonce demandant des bénévoles auprès de handicapés. je pensais que ces gens n'étaient pas gâtés eux non plus. le me mettais à leur place. Eux comme moi ne pouvaient pas faire un tas de choses... je veux dire qu'ils n'en avaient pas la possibilité. Ils étaient regardés de haut, tout comme moi. C'est ainsi que je le ressentais, du moins. J'ai fait des collectes pour les handicapés, pour l'Organisation néerlandaise pour l'assistance internationale, pour la Fondation des grands brûlés, l'Unicef, le Fonds Beatrix. J'ai poursuivi ces collectes un peu partout. Je donnais des conférences dans les écoles et je tenais un stand au marché aux puces. Voilà en quoi consistait ma vie privée. je faisais autant de porte à porte que possible, mais je devais en plus recevoir des clients et me farcir le ménage. J'avais une double vie. Trois enfants sont nés à Elburg, et ils ont survécu. Le fait d'avoir des enfants était une étape vers la liberté, mais d'un autre côté, ma mère et Wouter me faisaient faire toutes sortes de choses. Si j'ouvrais la bouche, ils menaçaient de tuer mes enfants, de M'estropier, d'incendier ma maison et de faire en sorte de m'ôter toute vie. "Si tu ouvres la bouche, tes enfants disparaîtront." Ou bien: "Nous les placerons dans un home." Ou bien: "Nous ferons quelque chose à tes enfants, c' est compris ? " J'ai menacé Yolanda de lui enlever ses enfants. Avec cette menace, je la forçais à continuer à travailler comme pute. J'étais aussi d'accord pour que l'on mette un bas nylon autour de son cou et qu'on le serre. Yolanda était très rouge. En même temps elle a été battue, je ne sais plus par qui. Wouter tenait le bas autour du cou de Yolanda (Dinie, procès-verbal du 23/10/1990) J'y croyais, parce que je les savais capables de tout. je savais ce qu'ils m'avaient fait, j'avais moi-même été placée dans un home. J'étais sur mes gardes : je considérais qu'il était plus grave de s'en prendre à mes enfants qu'à moi-même. Ils pouvaient me tuer, mais qui s'occuperait alors des enfants? Qui raconterait ce que Wouter et mes parents avaient sur la conscience ? Ils m'ont menacée une seule fois de me tuer, mais ils ont bien compris qu'ils ne m'auraient pas si facilement quand je leur ai répondu: "Faites-le si vous voulez, ainsi j'en aurai fini. " Mais j'ai tout de suite ajouté . "Il va falloir que vous trouviez une remplaçante qui tombe dans le panneau. " Ma mère a dit: " Quelle drôle de réaction; elle a vraiment l'esprit de contradiction. " Peut-être, mais cela me plaisait au plus haut point. je pense que j'ai commencé à manifester cet esprit de contradiction parce que leur emprise déclinait'. Mais surtout, parce que j'avais des enfants. Il fallait que rien ne leur arrive. je commençais à me sentir quelqu'un. J'étais très étonnée lorsque, dans un magasin, on me traitait comme une personne normale. Je rouvais étrange que l'on soit poli avec moi. Si à la maison, je demandais quelque chose, j'en recevais plein la gueule, alors que dans les magasins, c'était: "Oui madame, nous allons voir ce que nous pouvons faire pour vous." Mais à cause des enfants, ils s'accordaient un tel pouvoir qu'ils pouvaient tout se permettre avec moi et ils en étaient bien conscients. À Elburg, par exemple, les tortures à l'électricité, me traîner derrière la voiture, me défigurer et me charcuter avec un rasoir étaient devenus pratiques courantes. Avant, ils n'utilisaient les couteaux que pour les accouchements et les avortements, mais pas lors des jeux sexuels. Notre accord tenait: ils pouvaient faire tout ce qu'ils voulaient de moi aussi longtemps que je restais en vie, et le reste importait peu. Wouter l'a dit mot pour mot, sûrement à des clients dont il connaissait le sadisme extrême. Il y avait ceux que cela amusait de me remplir d'eau. Cela se passait dans la salle de bains. Ils reliaient le conduit du chauffage central au robinet et ils fourraient l'autre bout dans mon vagin jusqu'à ce que j'enfle comme une boule. Kees Lakei aimait les couteaux. Lakei était un ami de Wouter. Aux alentours de 1987, il s'est joint au club. Ils se connaissaient déjà du temps de sa première femme. Ils étaient ensemble au club 27MC. Lakei volait toutes sortes de choses que Wouter lui rachetait. Il était connu dans la région sous le sobriquet de "Kees à la scie à chaînette ", parce qu'il avait un jour attaqué quelqu'un avec cette arme improvisée; cela lui avait valu quelques années de prison. Il a un jour eu l'idée de me charcuter avec une lame de rasoir; Wouter a approuvé. Il a été chercher une lame dans la salle de bains et il a regardé comment Lakei coupait dans mon clitoris et mes lèvres. Il y a six mois, j'ai subi une opération; j'ai guéri aussi bien que possible. Du moins puis-je encore ressentir quelque chose. Wouter avait une double personnalité. En tournée, c'était un tout autre homme que celui que je connaissais à la maison. Il était joyeux et amical, même avec moi, disponible avec tout le monde et plein de bonnes idées sur la musique. Mais dès qu'il rentrait à la maison et qu'il n'y avait personne ou seulement le cercle des clients réguliers, il se transformait en affreux sadique, imaginant et exécutant les choses les plus sales. Parfois, il décidait que je devais "faire le chien ". Il M'obligeait à courir toute nue à quatre pattes pendant des jours, à boire et à manger dans une gamelle de la nourriture pour chiens : des croquettes et des tripes crues. Au moindre mot que je prononçais, il me donnait un coup de pied ou une gifle: "Les chiens ne parlent pas! " Il m'obligeait à dormir dans un coin de la chambre, contre le mur. Si je n'avais pas satisfait un client à sa convenance, il me battait avec sa ceinture, un fil électrique ou un parapluie. Il lui est aussi arrivé de me couper la jambe droite avec un rasoir. En hiver, il m'a fait dormir dehors seulement vêtue d'un pull. je n'osais pas chercher du secours: avec un pull pour tout vêtement, on n'ose pas si facilement sonner chez les voisins. Lakei et Wouter m'ont un jour emmenée dans une maison à Lelystad, où ils m'ont attachée à la verticale sur une sorte de planche à clous. Ils se sont démenés sur moi. Me jeter la nuit dans le lac de Ijssel les amusait beaucoup. Elburg est le chapitre le plus sombre de ma vie et si je ne m'étais pas enfuie, je serais vraisemblablement morte aujourd'hui. Les bons moments sont à compter sur les doigts de la main. L'hiver, je filais parfois en douce, tard le soir, avec Max, vers la plage de Veluwe. Pendant la journée, je n'osais pas me montrer en maillot de bain à cause de mes cicatrices. Mais la nuit, il n'y avait personne. J'allais nager dans l'obscurité et il n'y avait personne pour me voir. je trouvais cela merveilleux, Max aussi. Nous n'y parvenions qu'en l'absence de Wouter; un soir, nous avons profité de ce qu'il était ivre mort sur son lit. Nous avions rarement l'occasion de nous évader ainsi, soit à cause des clients, soit parce que j'étais coincée par ma famille. J'ai emmené une dizaine de fois Max en promenade. Certes, nous allions au marché, ou faire des courses; nous avons aussi visité le zoo avec oncle Harm. Mais C'était toujours si tendu. J'aurais tant aimé pouvoir lui raconter ce qui se passait à la maison; hélas, je n'en avais pas l'occasion, Wouter était toujours là. Wouter ne voulait pas entendre parler des enfants, qui avaient peur de lui. Quand il rentrait à la maison, les enfants n'allaient pas jusqu'à s'enfuir, mais ils restaient tout près de moi. Wouter ne supportait pas leur présence quand il répétait les chansons de son spectacle. "Casse-toi! Tu ne vois pas que je suis occupé. Et s'ils ne s'enfuyaient pas, ils recevaient une raclée. Wouter donnait en moyenne une représentation par semaine. Ma mère venait alors nous surveiller. En attendant son retour, elle m'obligeait toujours à préparer un dîner: des carbonnades, un poulet, bref un plat "familial". Quand le batteur ramenait Wouter, tard dans la nuit, il ne pouvait donc rien soupçonner. Bob était une personnalité. Il n'a jamais cerné la vraie nature de Wouter. Il lui a cependant dit un jour: "Tu dois veiller à ce qu'elle ne soit pas si souvent enceinte, tu dois aussi la ménager. " Bob pense que Wouter est devenu la victime de ma famille mais un homme un tant soit peu adulte s'en serait défendu. je dirais plutôt que chez nous, il est bien tombé. Quand il est arrivé à la maison, il entassait déjà les livres parlant de sexe. Il ne lisait rien d'autre. Playboy était une de ses lectures habituelles, Donald Duck aussi. Il regardait la télé, mais ne s'intéressait qu'aux films X, au football, et à sa grande moustache. La nuit, il collait les deux bouts de part et d'autre de son nez avec des sparadraps pour qu'elle pousse vers le haut. De temps en temps, nous parlions calmement, mais les sujets de conversation tournaient autour de son travail, sa mobylette ou ma mère, jamais de ce qui me préoccupait. Il parlait aussi du dernier match de football à la télé. je ne pouvais qu'acquiescer mais je n'y pigeais rien. Nous n'allions jamais en vacances, cela ne servait donc à rien d'en discuter. Moi, proposer d'aller en vacances ? Vous rêvez: je n'avais rien à proposer, je ne proposais jamais rien. je n'avais jamais pu songer un instant être quelqu'un pour lui, ou pour qui que ce soit. Dans la rue, je marchais toujours le regard baissé et en comptant les dalles. De temps en temps seulement, je pouvais parler avec Wouter. Selon moi, il avait un éclat de lucidité, quand par exemple mes parents n'étaient pas venus depuis quelques jours ou qu'ils étaient en vacances. Dans ces moments, il promettait toujours que cela ne se reproduirait plus, comme après chaque avortement d'ailleurs. Mais une si bonne résolution ne durait jamais longtemps. Il fallait absolument que je fasse les quatre volontés de Wouter. Quand il rentrait à la maison à midi, son repas devait être servi, écrasé à la fourchette, et la viande coupée en morceaux. Un jour, il est rentré avant que je n'aie eu le temps de m'en occuper. Il a dit: "Le repas n'est pas encore servi ?" Les enfants avaient un hamster dont ils étaient fous. Il a pris la petite bête, il lui a coupé les pattes avec des ciseaux et l'a disséquée. Il a mangé ce qu'il y avait dans la casserole et m'a forcée à manger le hamster cru. je ne pouvais pas vomir, vous savez déjà ce qui m'attendait dans ce cas. Wouter a agi calmement, il n'était pas fâché. Que le repas ne soit pas prêt lui fournissait l'occasion de faire ce dont il rêvait depuis longtemps, C'était juste un bon prétexte. Le lapin des enfants a subi le même sort plus tard. C'était un petit animal blanc très doux. je suivais des cours d'informatique; il y avait là un type qui travaillait dans l'armée à 't Harde, Mark Dietrich. Wouter voulait que je lui fasse des avances, pour lui fournir un moyen de chantage. Au cas où Mark refuserait de payer, Wouter pourrait toujours lâcher le morceau à sa femme. Quand j'ai refusé, il a dit: "Si tu ne le fais pas, tu vas voir ce que tu vas voir!" Le soir, je suis revenue du cours et j'ai avoué que je ne l'avais pas fait. Il a donc pris le petit lapin et un couteau. a petite bête ouvrait de très grands yeux, elle poussait des cris, et en une seconde ce fut fait. Le silence qui a suivi était horrible. J'ignorais que les lapins pouvaient pousser de tels cris. Je n'oublierai jamais ce cri. Il l'a coupé en morceaux, m'a obligée à les manger et m'a dit qu'il ferait la même chose avec Max si je ne draguais pas Dietrich. Le jour suivant, j'ai dit aux enfants que le petit animal était à la ferme pour enfants, parce qu'il y avait beaucoup d'enfants qui voulaient jouer avec un petit lapin. J'ai donc dragué Mark. Cela ne m'a pas donné beaucoup de peine. Nous prenions un verre à la cantine et c'est lui qui a commencé à faire un tas de remarques. J'ai dit: "Tu n'oseras jamais, tu n'en as pas le cran. " Nous avons été à 't Harde, dans les services médicaux de l'armée, un grand bâtiment blanc où nous avons passé une heure. Ensuite, il m'a ramenée à la maison. Wouter était satisfait mais je ne pense pas que le chantage ait jamais eu lieu. je n'ai naturellement plus eu aucun animal, à l'exception d'un perroquet, une bête très fausse. La vendeuse m'avait prévenue. Je voulais absolument l'avoir. J'imaginais les choses les plus folles : si j'ouvrais la cage, le perroquet s'envolerait vers Wouter et lui crèverait les yeux. Mais cela n'est malheureusement pas arrivé : il s'est contenté de donner un coup de bec aux enfants. À Elburg, nous avions une vie un tant soit peu familiale, ce qui signifie aussi peu familiale qu'à Epe. Presque tous les jours de la semaine et pendant tout le week-end, il y avait des clients ou des fêtes de sexe. Wouter et moi vivions en parallèle. Il n'y avait aucun jour où lui et moi étions seuls avec les enfants. Les enfants et les collectes étaient mon affaire, les clients la sienne. Il travaillait également à l'usine de boîtes de conserve et continuait à jouer dans son orchestre. Il dépensait l'argent sans compter, pour sa musique et en boisson. Nous n'avions pas d'auto, nous n'en avions pas besoin, nous ne devions aller nulle part. Si je devais me rendre chez un client, Lakei nous y conduisait, ou quelqu'un d'autre possédant une voiture. Environ une fois tous les dix jours, un frère aîné de Wouter et sa femme venaient nous dire bonjour. Wouter avait une peur bleue de lui. Sa famille est originaire de Doornspijk et ce sont des protestants très stricts. Nous avons un jour été dîner chez eux; nous avons eu un plat typiquement hollandais : petits haricots coupés, pommes de terre et boulettes de viande grasse hachée. Ils n'ont ni radio ni télé chez eux: ils trouvent cela diabolique. je suis donc curieuse de savoir ce qu'ils pensent de leur petit frère. Si le frère et sa femme venaient, Wouter se précipitait à l'étage pour soi-disant prendre une douche et se changer; en fait, il se précipitait sur le téléphone pour décommander tous les clients. Des soirs comme ceuxlà, il ne se passait rien et tout se déroulait comme dans une charmante petite famille. À Elburg, les clients venaient pendant la journée et le soir. Les voisins doivent avoir vu le manège, au moins celui d'entre eux qui observait tout, caché derrière ses rideaux. Je hurlais pour un oui ou un non, mais bien sûr personne n'est au courant de rien. Dans le quartier habitait aussi une femme qui travaillait à la police; elle prétend n'avoir jamais rien vu ni entendu. je n'avais pas beaucoup de contacts avec le voisinage: bonjour, bonsoir et basta. Je peux comprendre que personne ne m'ait vue enceinte : il est vrai que dehors je portais souvent un large manteau vert pour cacher ma grossesse. J'avais honte de moi. J'avais peur qu'ils disent: "Jésus, elle est encore enceinte!" Wouter, Kees Lakei et Ludo étaient peut-être les plus sadiques pendant cette période à Elburg. je ne me souviens plus du nom de Ludo. C'était un ami de Lakei'. Ludo venait quelques fois par mois et il était très extrême. Il aimait surtout faire du sexe "à l'étranglement ". Il attachait un bas nylon ou un genre de corde de rideau autour de mon cou et me violait jusqu'à ce que je sois sur le point d'étouffer. J'avais déjà vécu cela à Epe. Il y avait beaucoup de clients S.M. qui trouvaient cela amusant. Mais Ludo était le seul à continuer jusqu'à ce que je perde réellement connaissance. Ensuite, je retournais dans la salle de bains et je m'aspergeais d'eau froide. Wouter, Lakei et Ludo aimaient aussi me traîner derrière l'auto. Ils l'ont fait plus de vingt fois. Ils m'emmenaient sur un petit chemin de sable bordé de bruyère, dans les environs du Dellen à 't Harde. C'était un terrain d'exercices militaire. Ils choisissaient de préférence les moments où il y avait des exercices de tir, car les pancartes avertissant d'un danger mortel éloignaient les curieux. Je devais me déshabiller et ne garder que mes sous-vêtements. Ils attachaient une corde à mes chevilles ou à mes poignets et la fixaient au crochet de la remorque, ou à l'intérieur du coffre. Ensuite ils démarraient. Ils me remorquaient sur tout le chemin, aussi loin que s'étendait leur champ de vision. Une centaine de mètres, un kilomètre... jusqu'à ce que je ne tienne plus. Ils gueulaient, c'était pour eux la grosse rigolade. Au début, j'avais peur, mais je m'y suis habituée. Par la suite, c'était seulement difficile d'encaisser les chocs contre les pierres, mais cette douleur disparaissait. À ce jeu aussi, Ludo était le plus extrême : il roulait très brutalement. Le sang et la douleur les excitaient. Mes écorchures et mes bleus leur donnaient envie de me baiser dans le bois. Wouter en était fou. Il aimait regarder les films montrant des viols dans la nature. Malgré les exercices de tir, quelques personnes passaient, à vélo ou en voiture. Certains voyaient ce qui se passait mais continuaient à rouler. je me souviens qu'un jour, un type à moto s'est arrêté, mais il est reparti. La trouille, vraisemblablement. Finalement , nous nous retrouvions toujours entre nous. je continue à trouver cela étrange. Peut-être y a-t-il eu des dénonciations, mais celles-ci n'ont jamais dû être prises au sérieux. Wouter savait bien que la grossesse suivante serait à nouveau de son fait; il a décidé de prendre la situation en main. Ils m'ont surveillée comme des vautours leur proie, du matin au soir. Wouter, Lakei, mon père et ma mère faisaient attention à mes retards de menstruations. Dès que j'étais enceinte, ma mère, Wouter, ou quelqu'un d'autre du groupe, restait constamment à la maison pour me surveiller. Aux yeux de mes parents et de Wouter, la naissance de mes trois enfants n'était qu'un sabotage de leurs petits jeux, qu'il fallait empêcher. Durant la période à Elburg, ils m'ont fait avorter huit fois. À deux mois de grossesse, la tension montait déjà, et ils trouvaient amusant de l'interrompre en me jetant du haut de l'escalier, en me violant brutalement ou en fourrageant avec un tournevis dans mon utérus. je me débattais comme une folle et quand ils ne savaient plus quoi imaginer, ils me coupaient des morceaux de peau jusqu'à ce que j'abandonne et que je coopère calmement. S'il s'avérait que j'étais enceinte, je ne pouvais plus appeler personne. Si je voulais parler à quelqu'un, ils composaient le numéro pour moi. Si je sortais dans la rue où faisais des courses, je devais y aller accompagnée. Neuf fois sur dix, quelqu'un me suivait au cours de mes collectes. Il restait au coin de la rue, vérifiant que je ne rentre pas chez quelqu'un. Ou bien, Wouter appelait l'association pour savoir combien de temps la collecte prendrait; si j'avais l'audace de ne pas rentrer à l'heure à la maison, il me cassait la figure. Ils m'accompagnaient à la pharmacie chercher le test de grossesse. Si j'avais averti quelqu'un, ils s'en seraient pris à Max. Wouter menaçait: "Je le mets dans une casserole d'eau bouillante ", ou: "je lui tranche la gorge." Marja Boissevain est restée plusieurs fois devant la porte, sans succès; je ne pouvais pas ouvrir. J'ai songé à crier afin qu'elle sache que j'étais à la maison. Mais je ne suis pas passée à l'acte. Quand je me suis trouvée enceinte de Barbara, j'ai à nouveau réussi à prévenir Marja. C'était pendant l'été 1987. Elle avait une assistante, Anneke. Je l'ai rencontrée dans le centre commercial. je ne lui ai pas parlé de ma grossesse, mais plus tard, j'ai menti à Wouter en lui racontant qu'Anneke était au courant et allait en informer Marja. Il l'a cru, c'est ce qui a sauvé Barbara. Lorsqu'un an après la naissance de Max, j'allais à nouveau accoucher, Marja était en vacances et j'ai eu affaire à une remplaçante. J'ai pensé qu'il devait être arrivé quelque chose : j'allais être en retard de deux semaines, et la remplaçante me dit que, de toute façon, Marja ne pourrait pas assister à l'accouchement. je ne lui ai pas fait confiance, je suis partie immédiatement. Avec beaucoup de difficultés, j'ai pu aller à l'hôpital de Zwolle. Là, la gynécologue a provoqué la naissance de Barbara le jour suivant. Mieke est née en août 1988, grâce à la religieuse du quartier qui est un jour venue à la maison et à qui j'ai dit que j'étais enceinte. Mais chaque fois, cette histoire a été un drame: je devais rassembler tout mon courage. Avec la naissance de Mieke, j'ai craqué. (..) Je vous ai déjà averti des problèmes particuliers à cette patiente. Je les résume brièvement: inceste, avortement provoqué à l'âge de quatorze ans, cinquième gravidité aujourd'hui à l'âge de vingt ans, réactivation du problème par le viol le cinquième mois de la grossesse et peur que cela mène à une malformation congénitale, graves problèmes de relations familiales notamment avec les membres féminins qui semblent entraver l'épanouissement de la patiente, dépression croissante, tendance au comportement suicidaire et finalement décompensation complète ( .. ) vu que l'enfant est normal, on a opté pour une césarienne mettant fin à la grossesse (sic) (..) (lettre du gynécologue au médecin traitant, 2/9/1988) Lors de la naissance de Mieke, en août 1988, j'étais au plus bas. Elle est née au septième mois à l'hôpital de Zwolle. J'en ai été complètement retournée et j'ai tout cassé. Un psychiatre est venu me voir. Il a dit : "Il y a chez vous quelque chose de bien plus grave... " C'est alors que j'ai pu en parler. Deux mois auparavant, un matin, j'avais reçu la visite de Bert Akkerman à Epe. C'était déjà un vieux client et un ami de ma mère. je le voyais souvent et surtout quand il emmenait ma mère. Après un quart d'heure, il est reparti, mais un peu plus tard, il est revenu, prétendant avoir perdu les clés de sa voiture. Max et moi les avons cherchées mais nous ne les avons pas trouvées. Dans le salon, Akkerman m'a jetée brusquement par terre, là où se trouvaient les deux petits. J'ai essayé de m'échapper, mais il m'a rattrapée par les jambes. Il a arraché mes vêtements et m'a violée. je criais, mais personne ne m'entendait et mes enfants ont commencé à pleurer. Ils étaient dans, un coin, paniqués. Max criait: " Vous ne pouvez pas! Vous ne pouvez pas ! " Bert a remonté son pantalon, m'a demandé si j'avais trouvé cela bien, puis il est parti. Un mois ou deux plus tard, je me retrouvais à bout de nerfs à cause de cette grossesse. je pensais que l'enfant dans mon ventre avait souffert du viol. J'ai été acceptée à l'hôpital grâce à un subterfuge, Marja étant elle-même en congé de maternité. Deux filles plus jeunes, la remplaçaient. Elles ne me convenaient pas car je pensais que Wouter pourrait les embobiner. J'ai donc demandé si je pouvais aller à l'hôpital. je devais trouver une bonne raison. J'ai dit: "Je pense que le bébé-n'est pas bien placé; je me sens mal"; et du coup, j'ai pu y aller. À l'hôpital, les examens ont conclu que tout se déroulait normalement, mais j'avais une tension trop haute; j'avais donc une bonne raison d'y rester. Oncle Harm m'y a emmenée. Il a dit à Wouter que j'avais été acceptée. Ma tension était surveillée par monitoring, mais elle augmentait sans cesse. Les médecins ont jugé trop pénible pour moi d'être en salle commune et ils m'ont isolée. Je devenais folle, à'écouter toutes ces mères autour de moi qui parlaient si gentiment à leur bébé. Ils m'ont mise dans une petite chambre à deux lits. Là, était hospitalisée une femme souffrant d'hypertension, qui devait elle aussi accoucher. Je me suis bien entendue avec elle, mais à la fin de la semaine, elle a dû partir. Le samedi soir, je me suis donc retrouvée seule. Les visites étaient déjà terminées et je n'avais plus rien à faire. Une infirmière est venue bavarder avec moi. Elle m'a demandé pourquoi j'étais si renfermée, pourquoi je parlais si peu. J'ai dit : " Cela ne te regarde pas. Pourquoi te raconterais-je quelque chose ? je ne sais rien de toi non plus. " Elle a commencé à parler très gentiment de son fils, âgé d'environ vingt-deux ans - mon âge -, qui avait une petite amie; cela allait si bien, tout le monde était heureux, ils avaient eu un bébé... À ce moment-là, j'ai craqué. J'ai renversé le bouquet de fleurs sur la table, lancé les tasses à travers la chambre... je ne désirais qu'une chose : sauter par la fenêtre. J'en avais assez. Elle a appelé des collègues pour qu'on m'attache, et ensuite un psychiatre est arrivé. La seule chose que j'ai pu articuler, c'est que j'avais été violée pendant la grossesse de Mieke, et que j'avais mortellement peur qu'après cela, un monstre horrible ne grandisse dans mon ventre. je ne pouvais pas le nommer. J'ai dit que je n'en étais pas capable et il a compris. Il a dit: "Cela va de soi. " je ne voulais pas d'un accouchement normal, parce que toute cette angoisse et cette tension avaient dépassé les limites du supportable; d'où la décision, en concertation avec le gynécologue, de pratiquer une césarienne. Peu avant mon retour chez moi, l'accoucheuse m'a dit: "Si je l'avais su, je ne l'aurais pas permis; je serais restée près de toi jour et nuit. " À la maison, on ne parlait jamais de moyens de contraception. La seule fois où j'ai abordé le sujet, j'ai dit: "Une telle et une telle prennent la pilule, ne serait-il pas plus raisonnable de le faire aussi chez nous ?", j'ai récolté une punition. Et cela a été l'occasion d'un nouveau jeu S.M. Des moyens radicaux pour m'y faire renoncer. Greetje Van der Ven les a d'ailleurs engueulés à ce sujet. Chez elle, j'ai fait une vraie conférence sur la pilule. Après la naissance de Barbara, j'ai dû me rendre à Elburg parce que la pauvre enfant souffrait d'eczéma. Arie et Dinie étaient assis sur le banc, Wouter était assis là, un peu gauche, les mains dans les poches. Yolanda était en haut avec Max, mais elle est descendue un peu plus tard, tandis que je me déchaînais contre Wouter. J'étais grossière, j'ai dit : " Tu ne lui fais quand même pas à chaque fois un enfant ? On ne fait pas des enfants l'un à la suite de l'autre à une fillè de dix-neuf ans ! N'as-tu jamais entendu parler de la pilule ? " Dinie a dit: " Oui, mais elle n'en veut pas. " J'ai dit à Wouter: " Tu es son mari, n'as-tu jamais entendu parler du préservatif ? Tu trouves certainement désagréable de faire- l'amour avec un préservatif ? " Il ne savait pas comment se tenir. Si au moins, j'avais pu soupçonner quelque chose. (Greetje Van der Ven) J'ai descendu les escaliers, Greetje tempêtait. C'était un des moments où j'étais sur le point de vider mon sac parce que je lui faisais confiance. je m'en souviens encore. Elle me tournait le dos et je voyais par-dessus ses épaules les yeux de ma mère. Elle me regardait fixement, avec ce regard... que je connais si bien. J'en avais mortellement peur. Elle me dominait, j'ai donc tenu ma langue. J'aime énormément Greetje. Elle est une vraie mère pour moi. Combien de fois n'ai-je pas été sur le point d'aller la voir... Mais je n'osais pas. J'avais peur qu'elle ne me croie pas. J'avais peur qu'elle me trouve bizarre et qu'elle le dise à mes parents. Et plus tard, j'ai eu peur qu'ils ne plongent Max et Barbara dans de l'eau bouillante. Je me disais que mon père pouvait surgir au moment où je me confiais à elle, car mes parents travaillaient tous les deux chez Greetje. |