Chapitre 15 

Je n'ai pas rompu avec Robert le soir où il m'a quittée sans me détacher. J'étais trop contente d'avoir un ami. Il est venu le lendemain me dire qu'il était désolé et qu'il n'avait pas pu m'abandonner. Je n'avais encore jamais eu d'histoire avec un homme qui me demande pardon, je l'ai donc accepté et tout est rentré dans l'ordre.

J'ai aussi travaillé dans un club à La Haye. Je trouvais cela terriblement ennuyeux. On fumait, on regardait la télé, on feuilletait des revues et on ne rencontrait que des vieux cons puant la sueur. L'un par exemple avait des spasmes, et je ne voulais vraiment pas de cela, c'était trop me demander. Il était venu en taxi. je devais l'aider à descendre les escaliers, le déshabiller, le laver, le coucher sur le lit, lui mettre un préservatif..

Je trouvais cela horrible, c'était comme si je devais baiser avec un enfant. je comprenais très bien qu'il en éprouve le besoin. Mon propre passé resurgissait: j'ai toujours baisé contre ma volonté et je me retrouvais en train de déshabiller un client. Il ne pouvait même pas dire s'il voulait ou ne voulait pas quelque chose, parce qu'il pouvait à peine parler. Auparavant, j'avais tout subi et maintenant c'était à moi de faire subir aux autres.

Je suis allée voir le patron et j'ai dit: "je ne peux vraimènt pas, je pars et je ne reviens plus."

Je l'ai tellement regretté, j'ai souvent pensé : vais-je essayer de trouver l'endroit où il travaille, où il étudie, où il habite ? je voulais savoir si quelque chose était possible avec lui, car qui pouvait l'écouter si ce n'est une putain ? Mais j'ai abandonné, peut-être n'aurais-je qu'aggravé la situation.

En mars 1993, j'ai mis un point final à mon passé de putain. Bumper avait dit que si je voulais continuer, il respecterait mon choix, mais il n'approuvait pas. Je pense que s'il avait une telle influence sur moi c'est parce qu'il me laissait libre et me respectait.

C'est arrivé quand un client S.M. m'a fait venir, un chirurgien. Robert était au téléphone. J'ai entendu qu'ils avaient tout combiné et puis : "Sept cents florins." Plus tard dans la conversation: "Douze cents florins." Quand il a raccroché le téléphone, j'ai appris que ce type travaillait dans un hôpital et qu'il voulait passer me prendre à l'un ou l'autre hôtel pour me conduire dans un club S.M. Là, il voulait coudre les lèvres de ma vulve l'une à l'autre et ensuite me pénétrer avec violence en forçant les sutures. Il garantissait que tout se passerait sans danger. je voulais bien y aller.

Entêtée, je suis montée dans le train, mais en cours de route, j'ai commencé à douter; au lieu d'aller au rendez-vous, je suis allée voir Marcel à son bureau. Je lui ai alors parlé pour la première fois de' mon "alliance" avec Robert et je lui ai dit que je le faisais pour avoir l'argent nécessaire pour éliminer tous ces salauds. Marcel a réagi très durement. Il a dit: "Tu ne peux pas faire cela à tes enfants, ni aux enfants que tu as perdus. Sinon les gens vont penser que tu l'as bien mérité."

C'était une gifle en pleine figure. Il m'a regardée et a conclu:

"Oui, ça paraît dur, mais tu dois vraiment arrêter." Il était en train de fumer calmement un cigare et de recopier des pages de mon journal. J'étais enragée. Comment pouvait-il dire cela? Il m'a ramenée à la gare et m'a proposé de m'accompagner, mais je voulais rentrer seule, ce qui m'a permis, pendant mon retour en train, de réfléchir longuement.

Je me suis enfin rendu compte de ce que je faisais et j'ai compris que c'était une fuite ; l'idée m'avait plu de montrer ainsi à mes parents que je n'étais pas nulle et que je pouvais me débrouiller toute seule. Dans le train, j'ai donc compris que ce que je faisais n'était pas bien, que je n'en tirais aucun bénéfice et que je ne pouvais me venger sur personne. Marcel avait encore raison, je n'avais que moi.

C'était le 4 mars, le lendemain des sept ans de Max. Le chirurgien s'était évidemment fâché. Il avait appelé Robert pour demander où j'étais. Quand je suis rentrée à la maison le soir, mes enfants avaient été abandonnés par Robert depuis sept heures.

C'était la fin de ma carrière et le moment où je me suis détournée de tout ce dont je ne voulais plus. J'ai dit à Robert que j'arrêtais. Jusqu'aux grandes vacances, il a continué à venir en ami et à ne rien exiger d'autre. Ensuite, notre liaison s'est terminée parce qu'il voulait plus que ce que je pouvais lui donner. Nous sommes encore bons amis. Chaque pas exige beaucoup de peine, mais ce sont des pas vers le haut, comme si je me réveillais très lentement d'un cauchemar qui a duré plus de vingt ans.

" Que Yolanda ait eu le courage de s'échapper m'étonne plus que de savoir qu'elle se soit ensuite retrouvée dans une situation d'abus et de prostitution. Les femmes qui ont connu l'inceste et les mauvais traitements courent généralement un grand risque, parce qu'elles ne connaissent rien d'autre. Un de mes collègues a un jour fait parler un maquereau. Celui-ci a dit qu'il recrutait expressément les prostituées parmi les femmes qui ont connu l'inceste. Pourquoi ? Parce qu'elles se sont toujours adaptées -par exemple de peur de perdre leur père ou leur frère - et qu'elles montreront aussi cette docilité envers leur maquereau. Quoi qu'il fasse, elles feront tout pour le garder comme ami. " (professeur Van der Hart)

Évidemment, si j'avais rencontré plus tôt quelqu'un comme Pieter, j'aurais tout de suite rompu avec mon passé ; en fait, il aurait suffi que je tombe plus tôt sur quelqu'un qui me montre ce qu'est le sexe "normal" et combien cela peut être agréable. J'ai fait la connaissance de Pieter dans un cours que J'ai suivi. Il habitait à deux immeubles de chez moi. Il était divorcé. Il appelait souvent, généralement pour demander comment j'allais, ou bien pour venir boire le café.

Je lui ai raconté qui j'étais, et il m'a demandé si je voulais lui parler de mon passé. je me sentais très à l'aise avec lui, parce qu'il ne voulait rien de moi et m'écoutait. je n'avais pas rencontré si souvent ce genre d'homme. J'ai commencé à lui raconter des bribes de mon passé. je le voyais de temps à autre devenir livide, alors je me taisais. Mais à chaque fois il disait: "Raconte donc, je peux bien le supporter."

Il m'a demandé si j'avais quand même déjà fait l'amour normalement.

J'ai répondu: "Comment puis-je savoir ce qui est normal ? Apprends-moi."

J'y avais déjà pensé secrètement parce que je le trouvais très gentil. Mais je n'osais jamais le demander; cette fois, puisque je l'avais dit comme cela spontanément, je ne pouvais plus revenir en arrière. Il m'a regardée avec de tels yeux, l'air de dire tu es folle Il a dit: "Moi ?"

"Oui, toi."

Il voulait d'abord y réfléchir quelques jours. Il a dit: "Imagine qu'après tu craques, que tu réalises tout ce que tu as vécu, et que notre confiance réciproque disparaisse à cause de cela."

J'ai tenu bon et finalement il a consenti. La lumière devait être éteinte : je ne voulais pas qu'il me voie parce que j'avais honte de mes cicatrices. La plupart proviennent des coups. J'étais couverte de marques et de taches blanches là où ils avaient écrasé les cigarettes et les cigares. J'ai une cicatrice à la jambe: mon frère me l'a faite en y enfonçant un tesson de bouteille parce que je ne voulais pas coopérer. Celles à l'avant-bras, ce sont les éraflures d'un rasoir; celle-ci, je l'ai faite moi-même, il y a quelques semaines quand j'ai appris que mon père s'était à nouveau rétracté. J'agis souvent ainsi. Lorsque je n'arrive plus à m'exprimer, je dois me mortifier pour y parvenir. Cela peut paraître idiot, mais c'est ainsi. je suis tellement insensible et vide à l'intérieur que je dois me faire mal pour me sentir à nouveau en vie. Sur le bout de mes seins, il y a des cicatrices dues à ces agrafes. Ils les y ont enfoncées et ont fait des entailles ; on les voit encore. je considère celles-ci et celles sur les lèvres de ma vulve comme les plus graves parce qu'elles portent atteinte à ma féminité. Tout est caché sous mes vêtements, mais quand je prends une douche, les souvenirs reviennent automatiquement et, vu que je prends souvent une douche, les souvenirs reviennent souvent. En dessous, c'est plutôt bien réparé. Malgré tout ce qu'ils m'ont fait, je suis restée prude.

Fillette, j'étais déjà timide. Si je portais une jupe courte, je la tirais constamment. je préférais porter un pantalon, exactement comme mon frère. Je voulais toujours être un garçon. Encore maintenant, d'ailleurs.

La lumière devait donc être éteinte et il a fallu nous y prendre à sept reprises avant que Pieter et moi fassions vraiment quelque chose ensemble. Avant, il m'a seulement caressée, caressée et encore caressée et serrée. je trouvais cela épouvantable. Mon monde était sens dessus dessous : les choses qui étaient vraiment épouvantables, je les avais trouvées ordinaires durant toute ma vie et maintenant que quelque chose de normal se produisait, je trouvais cela épouvantable. J'étais moite de nervosité. Où devais-je mettre les bras ? Ils les avaient toujours attachés au lit. Devais-je faire quelque chose ? je n'en avais aucune idée, mais je me sentais tellement en sécurité près de lui, tellement au chaud.

Quand finalement cela s'est passé, c'était comme si un monde s'ouvrait à moi. Les gestes étaient les mêmes, mais la sensation était... si différente. Après je n'ai plus pu m'arrêter de pleurer. Il comprenait même que je puisse pleurer à cause de lui. Pour la première fois, j'avais de l'importance au lit et je n'avais encore jamais vécu cela, j'étais totalement perturbée.

Grâce à Pieter, je sais maintenant ce qu'est le sexe "normal". je m'étais fait toutes sortes d'idées à ce sujet. Je pensais que cela allait durer longtemps, qu'on aurait à peine terminé au matin ou qu'on recommencerait sans cesse... j'imaginais déjà tout. je ne savais pas que cela durerait une petite heure et qu'ensuite on serait tout simplement bien. Rien de décevant! La réalité est très simple, mais bonne, et c'est justement cela qui est beau: c'est pour cela aussi que je lui suis si reconnaissante.

Je l'avais demandé moi-même, cela avait réussi et j'avais trouvé cela agréable. Je suis une personne normale, comme toutes les autres.

Auparavant, je ne voulais jamais avoir d'orgasme. je n'en avais jamais eu et maintenant, j'en suis très heureuse. Peut-être avais-je refusé de pouvoir m'avouer plus tard que j'avais éprouvé du plaisir. Il ne fallait pas non plus qu'ils le croient. Prendre du plaisir grâce au sexe appartenait à leur monde. je pensais que si cela m'arrivait, c'est que je faisais partie de leur bande; j'étais une des leurs et ils me tenaient. je ne voulais pas leur appartenir, un point c'est tout.

Quand je suis déprimée, je n'arrive pas à reconnaître qu'on m'a forcée à participer. je dis à mon amie: "Mais j'étais quand même complice?"

Elle répond alors: " Qu'est-ce que tu radotes ? Tu ne l'as jamais voulu. Tu n'as jamais trouvé cela bon. Tu n'as jamais eu d'orgasme."

Cela aide.

Auparavant, je n'ai jamais eu ma propre sexualité, je ne voulais pas non plus en entendre parler. Si j'avais envie de coucher avec quelqu'un, je me sentais coupable. Je ne me masturbais pas non plus, je ne savais donc pas ce qu'était un orgasme. Oui..: maintenant je sais ce que c'est.

Je ne rougis normalement jamais... sauf avec Pieter. Cela peut sembler idiot, mais si j'avais été "violée" ainsi plus tôt, je n'aurais jamais fait de déposition.

J'ai dit à Pieter que j'avais envie de faire souvent l'amour avec lui à sa manière, mais seulement si le désir en venait spontanément des deux côtés.

Dès que cela a commencé à devenir physique entre Pieter et moi, j'ai regretté d'être restée si longtemps avec Robert et je m'en suis sentie coupable. À peine débarrassée de ces canailles d'Epe et d'Elburg, voilà que j'avais replongé de mon plein gré. Dès que j'ai fait sa connaissance et donc que j'ai eu un vrai ami, j'ai compris à quel point j'avais été dans l'erreur pendant tout ce temps et combien ma vie sexuelle avait toujours été aberrante.

Je ne peux toujours pas supporter la présence d'hommes autour de moi, malgré mon réel attachement à Pieter: il est resté un bon copain. je ne peux pas avoir de relation stable. Une partie de moi le désire, mais ensuite ma crainte reprend le dessus et l'autre partie de moi me dit que cela va échouer. je me réjouissais de la venue de Pieter, mais une fois les enfants couchés, j'avais peur, je me sentais abandonnée et je m'affairais à un tas de choses. Je ne peux pas supporter d'avoir jour et nuit le sentiment d'appartenir à quelqu'un, alors je passe ma colère sur tout et tout le monde. Soit je casse tout, je ricane bêtement, soit je ne dis plus un mot et je me replie totalement sur moi-même. je ne retrouve un peu de calme que lorsque je suis seule. je verrai bien si je veux vraiment avoir encore quelqu'un auprès de moi. Pieter a été un nouveau tournant dans ma vie et c'est pourquoi je lui suis très reconnaissante.

En ce moment, je ne veux pas entendre parler de sexe. je ne veux rien voir à ce sujet à la télé. je coupe toutes les émissions sur les bébés, l'amour, l'intimité ou la violence. je zappe tout le temps. Dernièrement il y a eu une scène, dans Honey-moon-quiz, montrant plusieurs personnes prenant un bain ensemble. J'ai éteint la télé, je ne voulais rien savoir.

Cette histoire se passait en fait à Epe.

Je ne peux pas supporter un homme près de moi, et encore moins un homme à qui j'attache de l'importance. Chaque fois que quelqu'un sort de chez moi, je pense que je ne le reverrai plus jamais et cela m'énerve énormément. Dès que Bumper partait en vacances, je me disais aussi qu'il ne reviendrait plus jamais. Encore maintenant, cela m'angoisse. je ne m'attache pas facilement non plus.

Il faudra du temps avant que je fasse à nouveau confiance aux hommes. En ce qui concerne les femmes, je suis presque entièrement guérie. Si une femme vient prendre le café chez moi, ou m'adresse la parole dans la rue, je ne me sens pas bien. J'ai ce sentiment seulement avec les femmes. Une maîtresse d'école ne doit pas me dire que mes enfants sont un peu en retard, parce que cela m'énerve; alors que si c'est le directeur de l'école qui s'en charge, un homme, je l'accepte très bien.

Je suis en fait bizarre. Je n'ai par exemple pas été immunisée contre la douleur. Mon dentiste est une femme. Si elle me fait mal, je deviens folle. Tout cela a un rapport avec ma mère. Je ne peux pas supporter que ma dentiste me touche, mais à l'hôpital, un infirmier, un homme, m'a fait un prélèvement de sang pour le test du sida; il n'y est pas parvenu tout de suite mais cela n'avait aucune importance pour moi. Bien sûr j'ai eu peur du sida. Le test m'a été fait tellement de fois - il ne me restait presque plus de sang! Mais tous les tests sont négatifs. Et j'ai compris que c'était un bon point.

Le passé est toujours en moi, il suffit d'un rien pour que des images me reviennent. Dernièrement encore une personne s'est approchée de Mieke et lui a dit qu'elle était mignonne à croquer. Je suis devenue folle; toutes les images me sont revenues à l'esprit. je me revoyais lorsqu'ils m'ont forcée à manger un morceau de mon propre enfant; je revoyais tout le monde autour de moi en train de rire. J'ai été prise d'une telle fureur que j'ai crié à cette personne: "Comment pouvez-vous dire une chose pareille à un enfant ? Vous ne savez même pas ce que vous dites. "

Son intention n'était pas mauvaise, j'en ai pris conscience après coup; mais sur le moment je n'ai pas pu le supporter. Marcel m'a appelée un jour pour me demander si, dans mon journal, j'avais écrit quelque chose sur Lakei. Je lui ai répondu que oui.

"Parfait, ainsi, on va également avoir la peau de ce porc. " J'ai flippé. Ce n'était pas ce qu'il voulait dire mais je... je ne pouvais pas supporter ces mots à cause de Patrick. Cet enfant aussi avait été traité et écorché vif comme un porc, par Lakei, remarquez. Toutes sortes de choses me font flipper, mais bientôt il n'y aura plus rien à dire. Par la suite j'ai prévenu Marcel:

"Tu peux très bien dire ce genre de choses, mais alors ne sois pas effrayé de ma réaction, si soudain je me fâche, si soudain je suis distante..."

Tout me ramène à mon passé. À peine venais-je de terminer la première partie de ma déposition que j'ai vu au journal télévisé un reportage sur les bébés en Yougoslavie, des bébés qui étaient battus et des bébés qui mouraient. je me suis mise à disjoncter. Tout d'abord, je suis devenue particulièrement calme, j'essayais de camoufler mon état. Mais ensuite, je me suis mise à lancer des objets et j'ai dû me défouler sur quelqu'un. Neuf fois sur dix, je passe ma colère sur des personnes que j'aime beaucoup. Il arrive aussi que je sombre dans un gouffre, je vois alors tout en noir. Depuis lors, je ne regarde plus ce genre de programme.

Beaucoup de gens me voient comme une personne insensible sur laquelle tout glisse' C'est vrai que je raconte les choses comme si elles ne me touchaient pas. Cette attitude m'a toujours sauvée. je suis incapable de montrer mes sentiments. je ne m'abandonne à ma colère et à mon chagrin que lorsque je suis seule.

Je ne sais pas pourquoi je ne suis pas devenue complètement folle, cela viendra peut-être. C'est une perspective qui m'oppresse parfois. Les enfants me retiennent ici. S'ils n'étaient pas là, je serais morte depuis longtemps. Ma vie est faite de hauts et de bas. Parfois je suis au fond du trou, je déprime. Dans ces moments de désespoir, je vais dans le parc. Voir des amoureux qui s'ébattent, voir un homme et une femme qui s'enlacent... me paraît toujours très étrange. je ne comprends pas que des gens puissent être si bien l'un avec l'autre. J'ai vu un jour une femme de mon âge qui marchait bras dessus bras dessous avec sa mère... Le simple fait d'y penser me fait frémir; il ne faut pas que j'y, pense.

Lorsque je suis vraiment au plus bas, je m'isole et me détache de tout et de tout le monde, je ne dis plus un mot. je ne trouve jamais les bons mots, je me sens angoissée, esseulée et laissée pour compte, jusqu'au moment où je décide d'en sortir. Combien de fois n'ai-je pas essayé de le faire ? Mon amie Audrey l'entend à ma voix lorsque je lui parle au téléphone.

Je ne sors pas le soir, et la journée je sors de chez moi le moins possible. C'est seulement ici que je me sens bien. Je ne m'étais jamais sentie chez moi nulle part; c'est un sentiment que je ne connaissais pas. Ici, j'ai l'impression de commencer à l'éprouver mais cela me flanque la frousse. Lorsque je suis chez moi, toute seule, et que je me sens bien, la peur me serre la poitrine. Est-ce possible ? Quel sera l'envers de la médaille ? Au moment où je prends conscience que je me sens bien, cette sensation disparaît déjà.

Je n'ai que deux amies très chères, dont l'une est la mère d'un ami de classe de mes enfants. Elles sont toutes les deux indiennes. Ces gens sont très différents dans leur manière d'agir et de se comporter. Elles sont plus chaleureuses que les femmes hollandaises, qui se mêlent toujours de tout. Dans le centre commercial, je suis souvent accostée par des femmes que je ne connais pas le moins du monde. Elles veulent savoir ce qui est arrivé à mes enfants. Un grand journal a eu la bêtise de publier leur nom. Elles ont repéré mes enfants à l'école et le bruit s'est répandu comme une traînée de poudre.

Elles me demandent comment cela s'est passé. Je reste interdite puis je tourne les talons. Elles posent alors la question à mes enfants. "J'ai entendu que des petits frères et des petites soeurs à toi ont été tués. Comment cela s'est-il passé ? " Audrey n'a pas besoin de tout savoir. Pour elle, je peux être comme je suis. Elle est serviable, me soutient et est toujours disponible.

J'ai parfois un black-out. Il y a dans la police deux personnes sur lesquelles je peux compter. Ici, Bumper, et à Epe, Marcel. Nous sommes convenus que je les appelle quand je vais mal. Dans ce cas, ils m'appellent trois ou quatre fois par jour ou ils passent me voir. Ce sont des chics types. Un jour j'ai laissé sonner le téléphone plusieurs fois, ils ont tout de suite accouru. Ils m'ont trouvée toute habillée sous la douche; je ne me rappelais plus ce que j'y faisais ni comment j'en étais arrivée là. Grâce à eux, je sors ensuite du trou et je me sens à nouveau normale - du moins ce qui passe pour être normal. je suis continuellement fatiguée.

" (..) que nous venons chez toi exceptionnellement, s'il n'y a vraiment pas d'autre solution. "

(Extrait d'une conversation téléphonique avec une assistante sociale)

J'étais constamment en conflit avec l'assistance sociale. Après avoir appris que les policiers s'en étaient sortis blancs comme neige, j'étais complètement K.O. Les policiers étaient protégés par leur syndicat et moi j'étais seule. Que pouvais-je faire ?

Mon avocat, mes amis, Bumper, tout le monde me disait: "Ton tour viendra, tu y parviendras."

Oui, mais en attendant... La seule chose que l'assistance sociale ait trouvé à dire: " Mais tu sais bien que le procureur te soutient." Cet organisme m'avait appelée pour me dire que l'administration de la preuve n'avait pu être obtenue, mais qu'il me soutenait entièrement. Cela me faisait une belle jambe!

Il fallait entendre les réactions à l'école lorsque je venais chercher les enfants. C'est incroyable : les instituteurs, les parents des autres enfants ne m'adressaient plus aucune de leurs stupides remarques, aucun bonjour, rien. C'était le moins qu'on puisse dire un accueil chaleureux! J'ai eu pour la énième fois le sentiment qu'on ne me croyait pas.

J'en avais ras le bol. Ce weed-end pourri du 9 octobre, je suis restée seule chez moi. je n'en pouvais plus, j'ai donc avalé tous les médicaments que j'avais à la maison. Si Jaap, un voisin, n'était pas passé par hasard, je ne serais plus là. Il a les clés. Il a pris ma tension et m'a emmenée à l'hôpital. J'avais encore suffisamment de lucidité pour le faire jurer qu'il ne m'abandonnerait pas là, parce qu'après une tentative de suicide, ils veulent vous garder. Ils m'ont vidé l'estomac et Jaap m'a ramenée à la maison. L'assistance sociale m'a appelée après que Marcel leur eut téléphoné et suggéré de venir voir si tout allait bien chez moi. Ils me convoquaient! Fallait-il obéir sur commande ? S'ils ne réagissent pas de leur propre chef, je n'ai pas besoin d'eux. Si j'ai des problèmes, je viendrai aux heures de consultation. Nous avions décidé que je ne devais pas me rendre chez eux, parce que je ne me sentais en sécurité que chez moi. Voilà que maintenant ils contestent cet accord. Je viens d'appeler. Ils m'ont dit que j'étais une obstinée. Moi j'appelle plutôt cela de l'autodéfense. J'y ai droit, après avoir été traitée pendant vingt ans comme un objet sans volonté. J'avais officiellement trois assistants sociaux. Le responsable s'appelait Joep. Il disait qu'il habitait loin, en dehors de la ville. Les d'eux autres habitaient ici et je ne les voyais pas davantage. Si quelqu'un était venu, j'aurais pu peut-être m'épancher, et rien ne serait arrivé. Jos, Herman et Joep travaillaient toujours ensemble ; je ne les ai jamais vus séparément ou à deux. J'ai un jour rejoint Joep dans sa voiture. Il m'a raconté sa vie: son fils est homo, sa nouvelle femme a de longs cheveux blonds, elle est professeur, tout va très bien, les enfants s'entendent bien avec elle, ils font installer le chauffage central, bien évidemment au noir, cela fait une différence de trois mille florins... Mais en quoi tout cela me concerne-t-il ?

Bumper le sait, l'assistance sociale le sait, je l'ai moimême répété si souvent: "Vous avez toujours besoin de rendez-vous : il faut venir tel jour à telle heure, et parler à ce moment précis. Tout le monde, dans mon entourage, sait bien que chez moi cela ne marche pas comme cela. je ne peux parler que quand j'en ressens le besoin. Vous pouvez venir chez moi quand vous voulez, mais je risque de n'avoir aucune envie de parler. Vous ne pourrez alors rien tirer de moi."

J'ai connu les pratiques S.M. J'ai pu faire une déposition parce qu'un inspecteur m'a comprise et respectée, il est venu chez moi sans intention particulière. J'ai eu une dizaine d'assistants sociaux. L'Institut régional pour l'assistance ambulatoire a décidé de former un comité: un policier responsable de ma sécurité, une personne chargée de suivre mon état psychologique, une aide familiale à la maison et un employé du service social chargé de mes finances. Lors d'une réunion, un membre de cet institut a dit: "On a entendu parler de quelque chose que nous n'avions jamais su. Nous ne comprenons rien, nous sommes épouvantés."

J'ai dit: "Quoi donc? je sais sûrement de quoi il s'agit car cela doit venir de moi. "

"Nous ne te le dirons pas, sinon tu risques de t'emporter et ensuite de retomber dans tes humeurs S'ombres. "

J'étais furieuse contre Bumper car il s'est révélé que c'était lui qui avait mouchardé.

À midi, il est venu vers moi et il m'a dit: "Ce n'est rien. Il s'agit tout simplement du soir où nous t'avons trouvée attachée et où nous t'avons libérée. "

Mon Dieu, si déjà pour cela ils faisaient toute une histoire, comment réagiraient-ils en apprenant le reste de ma vie ?

J'ai cessé tout contact avec l'Institut parce qu'ils me faisaient avaler quarante-trois pilules par jour. J'ai renvoyé une aide familiale qui ne me servait à rien. J'en ai pris une autre qui convenait mieux. je n'ai continué à voir que Bumper et Paul, la personne du service social. À l'école j'ai organisé un service de surveillance à l'heure du déjeuner afin d'être libre pendant la journée. Bumper m'a soutenue. Jusqu'à présent, l'assistance sociale n'a fait qu'organiser des réunions pour discuter de mon cas et savoir comment ils allaient s'y prendre. Dans les moments difficiles, je ne les ai jamais vus. Les trois assistants sociaux voulaient s'occuper ensemble de moi. Ils voulaient d'abord me faire sortir de ces moments pénibles et ensuite voir ce qui était le mieux pour moi. C'est plutôt une bonne idée de charger trois fonctionnaires de s'occuper de moi, car l'un peut toujours remplacer l'autre en cas de besoin. Lors de ma rencontre avec mon père, Bumper les avait prévenus: "Il faudrait peut-être que vous y alliez ? "

"Ce n'est pas possible parce que Joep est malade."

"Mais vous êtes quand même encore deux? "

"Oui, mais Joep doit décider lequel de nous deux doit y aller, or il est malade. "

Cela ne nous avançait pas. Paul Walda est donc venu, mon "financier " du service social. Un bon type, mais ce n'était pas son boulot. Paul aussi a toujours été là quand j'avais besoin de lui. Juste après mon installation ici, je n'osais pas sortir. Si je sortais, j'avais l'impression de plonger dans une eau glaciale et de ne plus pouvoir remonter à la surface. Paul m'a emmenée dehors et nous nous sommes assis à une terrasse. je ne pense pas que beaucoup de gens puissent comprendre combien c'était pour moi une expérience étrange. Mon médecin est au courant de toute la situation, mais lorsque je vais le voir, il ne me demande jamais comment je vais.

C'est quand même la moindre des choses que l'on peut attendre d'un médecin. Il n'a jamais demandé de mes nouvelles.

À l'assistance sociale... je préfère encore la police. Sans Bumper et Marcel, je ne m'en serais jamais tirée durant toute la série d'audiences. La justice a tout fait pour que je rompe avec mes amis policiers, et que je les remplace par un membre de l'assistance sociale. Ils pensent sans doute qu'on peut faire confiance à quelqu'un comme cela, sur commande. Bumper et Marcel sont devenus des amis très précieux et j'ai souvent des remords de leur causer tant de tracas. Marcel est le premier avec qui j'ai eu des discussions profondes et longues sur la signification de l'honnêteté. Quant à Bumper, je ne pense pas qu'un policier ait jamais sacrifié autant de son temps libre que lui pour moi. Tous les deux m'ont immédiatement donné leur numéro de téléphone privé et j'ai compris que peu de policiers le faisaient. Certaines personnes se plaignent de ce que les enquêteurs ont été trop personnellement impliqués dans mon affaire. Premièrement, ils ne l'étaient pas tous - et c'est bien -, deuxièmement, ils n'auraient jamais rien obtenu de moi sans ce lien personnel. Les 'dépositions sur les meurtres de mes bébés n'auraient par conséquent pas pu être faites. Tout le monde pense que j'ai crié sur tous les toits que nous nous entendions bien. Celui qui critique ce rapport de confiance qui nous liait ne saisit pas l'importance que cela avait pour moi de ne pas être seulement questionnée sur toutes les horreurs de ma vie, mais aussi de pouvoir tout simplement faire une promenade au bois avec un inspecteur en bavardant de tout et de rien. Cela arrivait de temps en temps lorsque j'étais à bout. Je me souviens encore d'une de ces promenades où je me suis pour ainsi dire frappé la tête contre un mur parce qu'on me demandait de prouver que six de mes enfants avaient disparu, alors qu'il y avait en prison des gens qui pouvaient le confirmer. Après chaque visite chez le juge d'instruction, après chaque interrogatoire semblable à une répétition du martyre que j'avais vécu, je recevais un coup de téléphone ou une visite de Marcel ou Bumper. Ils ne m'ont jamais laissé tomber, même si je me suis parfois comportée envers eux de manière atroce. La femme de Marcel, Nita, n'a jamais vu d'inconvénient à ce que je reste des heures au téléphone avec son mari. Elle aussi a fait beaucoup pour moi et je lui en suis tout aussi reconnaissante. Mais maintenant le lien qui m'unit à ces policiers est déclaré suspect. Je pense que la justice ne comprendra jamais que ces rapports personnels sont tout aussi importants que ceux entretenus par les policiers soucieux de poser les bonnes questions.

Mon amie Audrey, mes adorables voisins qui sont vraiment devenus un grand-père et une grand-mère pour mes enfants, mes deux policiers extra, Paul Walda: aucun d'entre eux n'a cette mentalité "heurede-consultation ", et pour cette raison ils ont été mes véritables sauveurs. je rencontrerai un jour un bon thérapeute ; je ne le cherche pas, car dès que l'on cherche, cela tourne mal. Tout à l'heure, les audiences seront terminées et un grand silence règnera. Je sens qu'une bonne assistante sociale sera la bienvenue à ce moment-là.

Mais je me sens mal quand ils me disent: "Tu dois prendre telle ou telle personne, tu dois avoir une assistante sociale, il faut que tu sois suivie par un spécialiste. "

Tant que je n'en ai pas besoin, je m'y refuse. Pour le moment, je n'ai besoin que d'une personne qui m'écoute et vienne boire un café de temps en temps. Qui, cela m'est égal. Une assistante sociale, à qui on tiendrait ce genre de discours, considérerait qu'il manque une vis dans le cerveau de son interlocuteur. Lorsque moi je le dis, on me traite de révoltée. Révoltée ? Pourquoi ne suis-je pas alors en train de donner des coups de pied et de cogner comme une sauvage toute la journée ? Lorsque je ne viens pas à un rendez-vous parce que je suis dans une phase de repli sur moimême, ils disent que je suis suicidaire. Lorsque j'entreprends quelque chose - par exemple, mettre sur pied la surveillance à l'école - ils appellent cela une fuite. Si je veux avoir un enfant, ils appellent aussi cela une fuite. Des médecins et des gens de mon entourage m'en dissuadent: "Tu as déjà tellement de choses qui te préoccupent, ne le fais pas ! "

Ils ont en fait raison, mais je voudrais tellement un jour être enceinte normalement, parce que je le veux, sans ressentir cette angoisse paralysante de voir mon enfant attaqué. Je voudrais pour une fois être heureuse d'attendre un bébé ; je voudrais pour une fois mettre au monde un enfant de manière naturelle, et qu'il grandisse comme je le veux: sans angoisse, sans- cris, sans toute cette violence.

Je me suis longtemps creusé la tête, et j'ai opté pour l'insémination artificielle, car le problème est que je ne veux pas d'enfant dont on connaisse le père. Je trouve que ce serait injuste par rapport à mes autres enfants qui ne le sauront jamais. Si jamais je décide de vivre avec quelqu'un, je me ferai stériliser, mais seulement après avoir eu mon quatrième enfant. Quelques tentatives d'insémination artificielle n'ont pas réussi, cela ne prend pas. je ne sais pas si je vais continuer car ce n'est vraiment pas agréable de se réveiller après une anesthésie. En novembre 1991, j'ai eu cette opération aux lèvres de la vulve et le printemps dernier, un examen pour déterminer pourquoi l'insémination artificielle ne prenait pas. Mon utérus est en très mauvais état: les tissus sont pleins de cicatrices et d'adhérences. Il ne m'est pas impossible d'avoir encore un enfant, mais ce sera très difficile et l'enfant devra vraisemblablement naître avec intervention chirurgicale. Selon le médecin, cette grossesse risque d'être très douloureuse. Pendant .toutes ces années, j'ai été mise enceinte contre mon gré; et maintenant que je le veux, ce n'est peut-être plus possible.

Lorsque je suis revenue à moi après l'anesthésie, un médecin et des infirmières m'entouraient. je suis devenue complètement folle parce que j'étais sûre que c'étaient mes parents, Wouter et Lakei. C'était impossible, mais à ce moment j'ai vraiment cru que C'était eux. je me suis mise à hurler de manière épouvantable et à donner des coups de pied, j'ai arraché la perfusion. Je voulais rejeter les couvertures et sortir de mon lit, mais ils m'ont repoussée. C'était facile parce que j'étais très faible. Leur geste de me repousser a parfait le scénario catastrophe : cela m'a entièrement convaincue que l'infirmière était ma mère, ce qui a donc encore aggravé les choses. Lors de l'opération de contrôle, le printemps dernier, cela S'est reproduit. J'ai compris que je ne devais plus être anesthésiée, qu'il fallait que j'évite cela autant que possible. L'assistance sociale qualifie de fuite ce désir que j'ai d'avoir des enfants. Je leur ai demandé de m'expliquer ce qu'ils voulaient dire et voilà ce qu'ils ont répondu: "Tu comprendras un jour."

Cela ne m'avance pas à grand-chose! C'est maintenant que je veux savoir. Je pense sincèrement qu'il ne S'agit pas d'une fuite, car précisément par la grossesse et l'accouchement, je serai confrontée à ce qui dans mon passé a été le plus pénible. Et ce n'est peut-être pas plus mal que ce passé revienne à la surface. Il y a de fortes chances que ce soit pour moi une façon de le digérer.

J'ai suivi une thérapie avec Dori, une psychothérapeute qui pratique l'hypnose et travaille souvent en collaboration avec la police pour aider les victimes d'actes de violence. Cela a vachement bien marché. Beaucoup de choses sont remontées à la surface, et j'ai appris à parler d'un tas de sujets. Mais un jour, j'ai opposé une très forte résistance à la thérapie. L'image de ma mère M'obnubilait. Dori était chez moi et je me suis mise à pleurer dans ses bras. Mais je me suis vite reprise : je ne pouvais pas faire cela, je ne pouvais pas pleurer dans les bras d'une femme. Je ne voulais pas d'une mère en face de moi. je voyais en Dori ma propre mère. C'était une chose que je ne pouvais supporter.

Personne ne pouvait comprendre cela, car pleurer était pour moi un énorme soulagement. Mais c'était trop dangereux: l'image de ma mère m'obsédait, il fallait que je m'en libère; or, me rapprocher de Dori signifiait pour moi me rapprocher de ma mère. Les femmes ne pouvaient pas s'approcher trop près de mon coeur. Après le premier procès, l'assistance sociale ne voulait pas me laisser seule. Ils voulaient que Cynthia, l'aide familiale, dorme auprès de moi. J'ai piqué une colère. Faire dormir quelqu'un avec moi ? je leur ai dit qu'alors plus personne de chez eux n'entrerait chez moi. je n'avais rien contre Cynthia, c'était une femme adorable, elle faisait tout pour moi et les enfants.

Au quotidien, j'ai une vie plutôt étrange. je dors et je mange à peine. L'angoisse et les cauchemars m'habitent. je ne connais pas la vie sans angoisse. En 1991, ils m'ont un jour fait quitter ma maison inopinément. Bumper avait reçu un appel téléphonique de la police d'Epe le prévenant que Lakei risquait de débarquer. C'était une fausse alerte, mais cette menace m'oppresse toujours.

Chaque fois que je parle de mon passé, je me sens si sale que je reste une heure sous la douche. Je sais très bien que c'est dans ma tête. Mais dans ces instants, c'est vraiment ce que je désire et la douche est le seul endroit où je me sente bien. je sens souvent une odeur rance autour de moi, que je ne peux rapprocher d'aucune autre odeur. Ce n'est pas une odeur de transpiration, celle-là je la connais. Après le procès, j'ai senti très fortement cette odeur étrange autour de moi. J'ai demandé a mon assistant social : "Ne sens-tu pas quelque chose ? "

Il ne sentait rien, par conséquent cela doit venir de moi.

Je prends une douche le matin avant d'accompagner les enfants à l'école., et le soir avant d'aller me coucher. je me lève souvent la nuit pour en prendre une autre et y rester de préférence une heure. Je ne sais pas si j'aurai un jour le sentiment d'être propre.

Il y a des gens qui veulent me cloisonner dans la catégorie des victimes de l'inceste. Il est vrai que je suis une victime de l'inceste, mais ce n'est pas pour autant que je veux être considérée comme telle. je vais vous donner un exemple. J'ai organisé avec une autre mère la surveillance scolaire à l'heure du déjeuner. Trois autres mères se sont ensuite jointes à nous. La semaine dernière, il y avait trois petits garçons qui se baissaient l'un l'autre le pantalon. Le petit garçon qui avait le pantalon baissé a dit à une petite fille: "Viens ici que je te viole! "

Je sais bien que ce ne sont que des paroles d'enfant, mais je lui ai quand même dit: Tu rentres, et tu ne sortiras plus pendant trois jours "

Les autres mères m'ont trouvée trop sévère. Selon elles, j'aurais dû le réprimander et en rester là. je n'étais pas d'accord. Elles ont dit que c'était à cause de mon passé. je leur ai répondu que cela n'avait rien à voir. Cette petite fille avait dit au garçon d'arrêter; bien qu'elle l'ait répété trois fois, les garçons ont continué à la poursuivre. Je trouvais donc que je pouvais enfermer ce gamin. Une des femmes a alors dit: "Mes enfants aussi se comportent comme cela de temps en temps. "

J'ai répondu: "Il y a un monde de différence. Les tiens ont douze ans, ceux-ci cinq. Le raisonnement n'est donc pas du tout le même."

Elle ne voyait pas de différence. Je lui ai donc dit qu'elle n'était pas à sa place, qu'il valait mieux qu'elle n'assure pas la surveillance. Plus tard, elle m'a présenté ses excuses. Elle avait besoin de la prime de surveillance, alors comme par hasard elle admettait que j'avais raison.. J'entends souvent dire que je suis tordue, mais je commence à croire que les gens normaux le sont encore plus. Je veux éviter tous les endroits où je suis traitée comme une victime de l'inceste par des gens qui ne partagent pas du tout mes opinions. J'ai envie de dire à certaines personnes: "Comportez-vous normalement, traitez-moi comme vous aimeriez que l'on vous traite. "

Je ne veux pas être considérée comme une folle. C'est le genre de chose qui me fait bondir.


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