Chapitre 17 

Épilogue

Ces derniers temps, je commence à croire que le récit de ma vie ne constitue qu'une couche apparente, que ce n'est qu'une partie d'une réalité encore plus épouvantable. Je veux examiner tous les recoins de mon passé car beaucoup trop de questions restent à ce jour sans réponse. Pour n'en citer que quelquesunes :

Pourquoi ne sont-ce que les gens simples, qui n'ont pas fait d'études, qui comparaissent devant le juge, et non pas ces salauds pleins de fric qui occupent une fonction importante ou qui ont étudié, mais qui ne sont pas pour autant les moins coupables ? Pourquoi la police s'en tire-t-elle impunément, et pourquoi des gens comme le docteur Pligter ne sont-ils même pas interrogés ? Pourquoi des gens comme Pligter, le pasteur Tuinder, le presbytérien Gering, le dentiste Combrinck, un ingénieur, un avocat, et plein d'autres, ne sont-ils pas poursuivis ?

Cela me met hors de moi, et si j'ai correctement sondé l'état d'esprit des enquêteurs, je peux affirmer que ceux-ci ont la même réaction que moi. Pourquoi la justice n'a-t-elle pas du tout apprécié que se répande la nouvelle selon laquelle j'allais publier le récit de ma vie ?

J'avais la moitié du temps les yeux bandés puisque les clients ne voulaient pas être reconnus. Y avait-il parmi eux certaines personnes influentes?

Pourquoi Kees Lakei et Hannes Doever - deux des plus violents - ont-ils été arrêtés puis immédiatement relâchés ? Dès que l'on a appris la parution de ce livre, ordre a été donné aux enquêteurs de ne plus rien me raconter à leur propos. Mais je sais que la police était furieuse de cette mise en liberté, qu'il y avait suffisamment de raisons de les arrêter à nouveau. Cela ne s'est pas produit parce que... ?

Lakei et Doever ont-ils fait des déclarations qui accablaient certaines personnes que la justice ne veut pas attaquer ?

Pourquoi le procureur de la reine a-t-il spécifiquement interdit aux enquêteurs d'enregistrer la déposition contre ce haut fonctionnaire d'Epe ? Il m'est interdit de dire quoi que ce soit à son sujet. J'avais déjà mentionné son nom il y a longtemps, mais il y a peu de temps encore, je n'avais toujours pas pu faire de déposition contre lui. Ils me disaient toujours: "Chaque chose en son temps!"

Quel non-sens! Un procureur de la reine ou un juge d'instruction aurait tiré l'affaire au clair, mais la justice de Zutphen a malheureusement laissé les pommes pourries dans le panier.

Ma soeur a fait récemment une déclaration sur le meurtre de Jamy et Melany, dont le contenu coïncide avec celui de ma déposition. Le procureur de la reine a dit: "Arrête là, nous n'en ferons rien. "

Pourquoi ? En ont-ils assez ? Ou les implications vont-elles trop loin? Avant que le ministère public ait fait savoir que l'enquête était close, le procureur a dit aux enquêteurs : "J'aimerais tant avoir affaire à un meurtre normal."

Après chaque meurtre d'enfant ou avortement, ma mère claironnait la même chanson: Glory Glory Hallelujah. Lorsqu'elle mettait la cassette, elle était encore nue et couverte de sang. Elle chantait et frappait dans les mains, avec un visage rayonnant. Toute son attitude semblait vouloir dire que je devais la remercier pour ce qu'elle m'avait fait et que je devais être très contente... C'était étrange. Elle gigotait aussi comme si elle était excitée. On pouvait être sûr alors qu'on passerait ensuite aux petits jeux sexuels. J'avais oublié cette chanson depuis longtemps; mais ma soeur ayant remis la cassette aux enquêteurs, ils me l'ont fait écouter. D'un coup, je me suis sentie mal, ils ont donc arrêté tout de suite. C'en était trop.

J'ai aussi dit à Bumper, aux enquêteurs et au procureur que chez nous, ce n'était pas très différent de ces sectes sordides ; c'était cependant une secte qui s'élargissait continuellement et faisait toujours des choses obscènes. Ils m'ont demandé si quelqu'un était le chef. Je pense que ma mère devait être le chef, alors qu'au début c'était Van der Grunten. Celui-ci se chargeait aussi de racoler des participants. Maintenant, cependant, je commence à croire que mes parents et Wouter ne faisaient qu'obéir à des ordres venant d'ailleurs. Ils n'étaient peut-être que des exécutants.

En société, beaucoup de membres de ce cercle S.M. étaient convenables et gentils. Mais à peine les rideaux fermés, ils devenaient des bêtes. Je ne serais pas surprise si on découvrait que ces gens étaient comme possédés.

Maintenant que je suis libre, j'ai le loisir de réfléchir à un tas de choses. Je me heurte à de plus en plus de questions sans réponse. La semaine dernière, j'ai regardé un documentaire sur les adeptes de la secte américaine de David Koresh, qui, en avril 1993, se sont tous donné la mort dans un incendie. Ce que les survivants ont raconté par la suite ne m'est pas étranger. David Koresh exerçait un tel pouvoir sur eux qu'ils n'avaient compris qu'après coup à quelle bande de fumier s'ils avaient eu affaire. Lorsqu'ils étaient immergés dedans, ils ne s'en rendaient pas compte...

Cela m'a très fortement renvoyée à la situation à la maison. Tant que je restais à l'intérieur, tout semblait normal. Mais dès que j'ai pu en sortir, je me suis rendu compte que ce n'était pas du tout normal. Mon père et Wouter étaient tous les deux des hommes parfaitement sensés, et puis tout à coup, ils étaient comme possédés et changeaient totalement de personnalité. J'ai entendu récemment qu'il était possible, par hypnose, de faire oublier à quelqu'un des éléments de son passé. Il se peut aussi que certaines choses soient si énormes, si écrasantes, que l'on ne puisse pas du tout s'en souvenir, si ce n'est par quelques images éparses que l'o-n ne parvient pas à replacer dans leur contexte.

Cela explique beaucoup de choses à propos desquelles je me cassais la tête : parfois je devenais folle devant mon incapacité à replacer ces images dans mon passé.

Ainsi, un étrange souvenir m'est revenu à la mémoire : j'étais très petite, je n'allais même pas encore à l'école. Je devais faire un dessin pour un homme dans un hôpital à Apeldoorn. Je me suis dessinée moi-même, attachée à un arbre dans le bois. Je regardais en direction d'un grand feu. Cela avait quelque chose à voir avec une fête au Domaine. Il y avait un cochon à la broche et ils m'avaient attachée pour une quelconque raison. Mon père restait toujours à proximité de moi et il y avait beaucoup d'enfants et d'adultes. Il y avait aussi une charrette attelée de Frisons, avec laquelle on pouvait faire des petits tours. Que signifie ce souvenir?

Cela me rend malade de ne pouvoir me souvenir que vaguement ou pas du tout de tous ces événements, alors que je me souviens clairement d'autres choses annexes. Exactement comme mon père, qui se rappelle par exemple très bien ce que nous avons mangé tel jour, mais pas que le lendemain il a tué Sjon et Sanne. Un autre exemple.

Je me souviens qu'il y avait tous les mois au Domaine une énorme fête avec tous les gens que je connaissais par le club S.M. et plein d'autres que je ne connaissais pas. Wouter, Arno et Stien Hoppe par exemple, je ne les avais jamais vus à ces fêtes, mais pendant la période où nous étions à Elburg, ils participaient aux jeux S.M.; tout comme Kees Lakei, les frères Van Gaais et leur mère: tous des nouveaux clients. je connaissais déjà la plupart d'entre eux avant, mais pas par les fêtes.

Ces fêtes se déroulaient sûrement aux alentours de la pleine lune, parce qu'à cette période généralement, je déprime. je repense alors à ces fêtes et je m'énerve parce que je me souviens de si peu de choses. Je me rappelle que nous y allions - Wouter, mes parents, Stien, les Doever - et aussi que le lendemain matin je me réveillais dans mon lit étonnée de ne pas me souvenir de ce qui s'était passé la veille.

Des fêtes, je ne garde que quelques souvenirs flous, sans lien apparent les uns avec les autres : elles ont lieu dans une-grande maison blanche au Domaine. Parmi la foule, il y a tous les gens qui participent aux petits jeux S.M. chez nous et chez Hans Van Dralen: le docteur Pligter, Jaarsma, le policier Leo Wolff, Freek Kirsch, attaché à l'Office néerlandais des brevets, etc. La famille Perk est arrivée en avance, mais je ne me souviens pas d'eux pendant les fêtes elles-mêmes. On pratique en cercle des jeux S.M., je ne suis pas la seule victime.'

Je me souviens d'un feu et d'un bébé porté jusqu'au feu entre les rangées de participants. Parfois je m'arrache les cheveux: je retombe, nom de Dieu, toujours sur la même image, celle de ce bébé que l'on porte en direction d'un cochon sur une broche. Les gens sont en rangs sur les côtés, quelqu'un court avec l'enfant entre les deux rangées... puis je ne me souviens plus, je ne sais plus ce qui se passe ensuite, je ne sais pas à quoi rattacher l'image.

Je me souviens aussi d'une autre séance au Domaine: un certain nombre de filles et de garçons de mon âge se trouvent près d'une croix en bois que mon père se vantait toujours d'avoir construire. Marga Perk est là... je ne peux pas non plus replacer cette image dans son contexte.

N'est-ce pas étrange qu'après toutes ces années, je puisse me souvenir d'un tas de détails de ce qui se passait à la maison, alors que je me rappelle à peine des fêtes au Domaine ? Une lumière s'est allumée lorsque quelqu'un m'a dit récemment que le docteur Pligter est un hypnotiseur reconnu. C'est peut-être pour cela que je ne me rappelle presque rien de toutes mes visites chez lui. Jusqu'à dix-sept ans, je suis allée chez lui, par contre je ne me rappelle pas en être sortie. je ne me souviens pas du reste, sinon qu'il me parlait sur un ton barbant, alors qu'en dehors du travail, il avait une façon dure et agitée de parler. Mais ce qu'il m'a dit exactement... je n'en sais strictement rien.

Après la dispute sur les moyens de contraception, avons-nous pris un vrai médecin ? je me souviens avec précision de ce qui s'est dit dans son cabinet de consultation. je me souviens que j'avais des inflammations, qu'il m'a prescrit des lavements pour soigner les pertes blanches, et je me vois encore entrer et sortir de chez lui. Pourquoi est-ce que je me souviens de sa maison et pas de celle du docteur Pligter ?

Comme je l'ai déjà dit, ce n'est que maintenant que je commence à réfléchir à un tas de choses. J'ai regardé cette semaine une émission de télévision sur l'hypnose. Une femme mettait un enfant au monde sous hypnose. J'étais presque incapable de regarder, parce que j'ai tout à coup pensé à un autre "accouchement" auquel j'ai assisté enfant, en compagnie de mes parents, Pligter et quelques habitués du club S.M. La femme qui allait accoucher avait précisément la même attitude: les yeux ouverts, à moitié retournés. Ses yeux bougeaient dans tous les sens mais elle ne clignait pas des paupières et ne bougeait pas. je me doutais que Pligter lui avait donné quelque chose, elle était réduite à l'état de poupée. Plus tard, cette femme ne se rappelait rien. Il est donc tout à fait possible qu'elle ait accouché sous hypnose.

Petit à petit, les pièces du puzzle se mettent en place. Ils n'ont peut-être pas réussi à m'hypnotiser complètement. Cela expliquerait le fait que je garde encore quelques bribes de souvenirs. Même sous anesthésie, je me rappelle où sont mes cigarettes. D'après le chirurgien de l'hôpital, j'aurais dit pendant l'opération: "Prends mes cigarettes, elles sont sur la table."

Les gens du Domaine ont selon moi quelque chose à cacher. Marga Perk a écrit un livre sur les phénomènes paranormaux. C'est une femme étrange. Elle croit aux lutins. Une dizaine de cousins, tantes et soeurs habitaient là-bas, dans les années soixante; Pligter était considéré comme un membre de la famille et il était lié avec l'architecte Van der Grunten. Depuis lors, il est toujours resté dans ce cercle étroit. Van der Grunten était très ami avec Perk, Pligter, Van Dralen, Jaarsma, ceux-ci comptaient parmi les riches clients S.M. qui rampaient devant ma mère. Seul Van der Grunten était plus ou moins son égal.

Mes parents sont des gens très instables et ils allaient souvent chez Perk. Celui-ci aurait-il influencé mon père et ma mère de telle sorte qu'ils agissent comme ils l'ont fait? Les idées venaient-elles d'eux? Honnêtement., on ne part pas avec son patron en vacances à Paris! C'est pourtant ce qu'ont fait mes parents. Un simple ouvrier forestier - pas même garde forestier - et sa femme, qui selon les résultats d'un examen psychiatrique auraient l'intelligence d'un enfant de huit ans, deux moins-que-rien en vacances avec des gens importants du Domaine, avec des titulaires de diplômes de troisième cycle et de maîtrise ? ! J'ai gardé des photos. Ils ont une autre propriété quelque part. Mon père y allait parfois dans son beau costume. Avec nous il entretenait le mystère, il ne pouvait rien nous raconter. C'était peu de temps avant le meurtre de Jamy et Melany. je ne sais pas pourquoi il y allait pour le travail ? Dans un costume qu'il ne portait presque jamais ? Et pourquoi ne pouvait-il rien dire ? J'ai écrit des lettres à mon père pendant tout un temps, à l'époque où il ne pouvait avoir de contact avec personne d'autre. Pendant trois mois, il n'avait pas échangé de nouvelles avec la famille Perk et le climat entre lui et moi se faisait de plus en plus confiant. À partir d'une certaine date, il a pu à nouveau recevoir des visites. Mme Perk est venue le voir avec un groupe de personnes, notamment Hans Van Dralen et Jaarsma. Et précisément, dès le jour où ce petit club est venu rendre visite à mon père, celui-ci a repris ses distances par rapport à moi. Du jour au lendemain! La veille encore, il disait: "J'espère que tout ira bien pour Yolanda, en fin de compte elle est ma fille."

Ensuite, il n'a plus voulu me voir ni prétendre me connaître.

Que se serait-il passé s'ils n'étaient pas venus lui rendre visite ? Ils sont revenus à la charge plusieurs fois. Et ils ont publié une lettre dans les journaux où ils vitupèrent l'enquête de police alors que la culpabilité de mes parents est prouvée depuis longtemps.

(..) Il ne s'agit en tout cas pas d'apprécier la justesse du verdict, mais plutôt sa valeur Pour cela, il est nécessaire de tenir compte également du milieu social et des capacités intellectuelles. (lettre dans N.V.D. 15/06/1993)

"Capacités intellectuelles "... qu'ils se renseignent à l'université de Leiden. À en croire le test de personnalité, il ne manque manifestement rien à mes capacités intellectuelles. Ils s'acharnent tellement à défendre mes parents... Ils espèrent sûrement que tout le monde dira: vous voyez bien, toutes ces personnalités qui les soutiennent., il n'y a plus rien à faire. Ils ont

même payé l'avocat de mes parents. Le plus grave, c'est qu'un des signataires de la lettre était membre du club S.M., et qu'à son actif il a une condamnation pour actes de débauche sur un garçon mineur. Il n'y a pas très longtemps, lors d'une fête S.M. dans la maison de vacances de Van Dralen, il avait voulu que Max participe. Celui-ci n'avait pas encore quatre ans. L'idée avait tenté ma mère, mais heureusement, il avait abandonné parce qu'il trouvait qu'elle demandait trop cher. De toute façon, ils auraient dû me passer sur le corps avant de pouvoir toucher à un cheveu de mon fils. J'ai appris par les enquêteurs que la victime des actes pour lesquels il a été condamné n'a réclamé, à l'époque, aucune réparation pour préjudice moral, mais qu'il l'a fait après avoir lu la lettre dans le journal.

Mon père m'emmenait parfois à son travail, au Domaine. Après le meurtre de Sjon et Sanne, j'avais l'impression qu'il évitait toujours un certain endroit, à côté du vieux hangar qui est maintenant démoli. Il restait là, les yeux fixés dans le vide. C'est dans cette circonstance qu'il m'a un jour dit: "Je le regrette, je ne voulais pas. Ne dis pas à ta mère que tu sais."

Il est tout à fait possible que les cadavres de mes bébés soient enterrés là. A la naissance d'une de mes filles, je me suis disputée avec mon père. je ne sais plus exactement comment ni pourquoi, mais c'était au sujet du meurtre de Sion et Sanne: je voulais savoir où ils étaient enterrés. Mon père a dit entre autres qu'il y avait maintenant un nouveau temple à l'endroit où ils étaient enterrés. Un temple, je n'ai pas compris à l'époque et je n'y ai plus pensé. Maintenant, je me disque ce mot est typique du vocabulaire des sectes.

En février, je suis retournée au Domaine avec Marcel et Ive, un autre membre de l'équipe d'enquête. Au dit endroit., il y avait une nouvelle petite maison que mon père avait construite, une sorte de local collectif. Ils ont repéré où l'ancien hangar avait dû se trouver, et ont abouti à côté de la petite maison. Là ils ont creusé mais n'ont rien trouvé. Mon père avait dit qu'il y avait un temple à l'endroit même, et non à côté. je persiste à croire qu'en dessous de cette petite maison, il doit y avoir quelque chose.

J'explose de questions. On a calculé combien mes parents ont dû gagner au minimum en m'exploitant. Lorsque j'ai entendu le chiffre, je me suis écriée, comme pour changer un peu: " Ce n'est pas possible ! ", mais j'ai vérifié les calculs: depuis mes douze ans, j'ai eu en moyenne cinq clients par jour. C'est une estimation minimale car durant les week-ends, j'en avais au moins trente. Les clients "normaux " payaient au minimum deux cents florins, les sadiques extrêmes, six cents florins, et il y avait des fêtes S.M. à peu près tous les jours. Si on s'en tient à une estimation prudente, on peut compter une rentrée moyenne de trois cents florins. En dix ans, il faut compter entre dix mille et vingt mille clients - parmi lesquels toute une série de clients réguliers - on arrive donc à un montant avoisinant les cinq millions et probablement davantage. Les yeux me sont sortis de la tête quand j'ai entendu cela. C'est peut-être stupide de ma part, mais il ne m'était jamais venu à l'esprit de faire des comptes. je savais qu'ils avaient gagné beaucoup d'argent. Ce qu'ils en ont fait, je me le demande. je n'en ai en tout cas jamais vu la couleur. Ma mère achetait des vêtements, de l'alcool et des instruments S.M., et Wouter, plus tard, des instruments de musique, c'est tout. Ils n'avaient pas de voiture. Mon père s'est toujours rendu à son travail à moto. Avec un peu de bonne volonté, les revenus de mon père répondaient aux besoins de leur mode de vie. Papa a en effet continué à travailler jusqu'à la fin et souvent six jours par semaine. Pendant ses heures de loisir, il entretenait à gauche et à droite des jardins particuliers.

Où est donc parti tout cet argent ? Lors de ma rencontre avec mon père en septembre, il m'avait dit de lui faire signe si j'avais besoin d'argent. Je suis curieuse de savoir d'où il l'aurait tiré. je me souviens que mon père parlait d'un compte qu'il avait au Domaine et sur lequel il déposait tout l'argent qu'il avait gagné.

(..) Ce que rapporte la patiente laisse une impression d'authenticité. Lors du traitement, il n'y a eu aucune raison de supposer que ce qu'elle racontait était le produit de son imagination. Son récit et son expérience ont paru vrais au médecin en charge du traitement. (lettre du service psychiatrique du district à la justice, 28/09/1993)

Il reste des choses que je ne raconterai jamais. C'est ce que j'ai dit à la police lorsqu'ils m'ont demandé:

"Que peut-il y avoir d'encore plus horrible que le meurtre de tes bébés ?"

Il y a encore beaucoup de choses, mais je ne les raconterai pas spontanément. je sais par exemple qu'au moins dix bébés, à Epe et dans les environs, ont été tués après l'accouchement, j'en ai été témoin. Mais je n'en parlerai que si les mères, qui sont en fait les victimes, le déclarent à la police. J'ai déjà été trop souvent traitée de mythomane. Les enquêteurs ont essayé d'obtenir des renseignements sur certains habitants d'Epe, mais je ne veux raconter que ce qui me concerne et m'en tenir là.

Je vais donner un exemple pour lequel j'ai quand même cédé à leurs questions, mais je leur ai demandé de ne pas utiliser mon témoignage à mauvais escient.

Lorsque Koosje habitait chez moi à Vaassen, aux alentours du premier procès, elle n'avait plus eu de contact avec ses parents depuis presque huit ans. Elle était curieuse de savoir ce qu'ils devenaient. Pour cette raison, elle voulait aller voir Arno et Stien Hoppe à Vaassen, qui les connaissaient bien. Par sécurité, je l'ai accompagnée.

Stien venait d'accoucher. J'habitais en face de chez son fils. je l'avais vue si grosse que je me doutais qu'elle était sur le point d'accoucher. Arno nous a dit qu'elle avait accouché et qu'elle était en haut. J'ai donc supposé que l'enfant venait de naître, mais peut-être était-il né quelques jours plus tôt.

Nous avons d'abord attendu dans le salon car il devait d'abord demander si Stien pouvait nous recevoir. Un peu plus tard, il est redescendu nous dire que nous pouvions monter. Nous avons monté les escaliers tandis qu'il prenait quelque chose dans le placard du couloir. J'ai su plus tard que c'était une masse.

Arrivé dans la chambre, il a pris l'enfant dans son berceau, l'a jeté à terre et lui a martelé le crâne. Il n'était pas du tout déchaîné ni furieux. Ils ne disaient rien mais riaient comme des idiots. Arno faisait comme si c'était une plaisanterie et Stien riait comme une hystérique. Il faut avoir perdu la tête !

Koosje et moi restions figées et assistions au spectacle. Nous tremblions. Ensuite, nous nous sommes enfuies en courant. Qu'aurions-nous pu faire ? Qui nous aurait crues ? Nous savions que nous ne pouvions pas en parler parce qu'on nous aurait flanquées à l'asile psychiatrique. Nous avions donc décidé de nous taire.

Mon journal est rempli de choses que la justice n'aurait jamais crues. J'avais dit au début de l'enquête à la justice que je pensais qu'une secte était à l'origine de tout, mais ils n'ont pas suivi cette piste. Il était clair qu'ils ne me croyaient pas. je ne leur ai pas cédé mon journal parce que je sais que sinon ils m'auraient prise pour une folle et ne m'auraient plus jamais écoutée.

Pour le moment, la question la plus importante est: qu'est-il arrivé aux corps de mes bébés ? Il faut que je sache cela avant toute autre chose. Mes parents l'ont peut-être dit pendant le procès. La question suivante sera: pourquoi avez-vous fait cela ? pourquoi m'avez-vous fait cela ?

Peu de gens comprennent ce que signifie perdre ses enfants de la manière dont je les ai perdus. Et je les comprends très bien, car il y a là quelque chose d'excessif, d'inconcevable. Une personne de confiance m'a écrit un poème, que je portais toujours sur moi l'anne dernière, dans les périodes les plus difficiles. Ce poème m'a aidée à tenir le coup parce que j'avais le sentiment que quelqu'un me comprenait. Il l'a dédié à mes enfants qui ne sont plus. Le voici: Personne ne savait que vous étiez là, Personne ne vous a vus aller et venir. Votre vie si brève comme une ombre noire, noire; Mais vous n'étiez pas vraiment seuls. Quelqu'un voulait et veut toujours Vous donner une vie d'amour Vos vies sont parties.

Son amour demeure pour vous.

(Un ami)

J'espère recevoir un jour une lettre m'informant de ce qui est arrivé à mon premier enfant, qui doit sûrement être en vie quelque part. J'espère aussi qu'un jour un membre de la famille de ma mère me dira de qui je suis réellement la fille.

Je ne ressemble pas du tout à mes parents, ni physiquement, ni de caractère, à mon frère et ma soeur non plus. Je ne peux pas être la fille de ces deux-là dans leur prison. je ne tiens sûrement pas mon intelligence "performante " de mes parents: ils ne sont pas capables d'additionner un et un.

Celle à qui je ressemble le plus, c'est tante Coba; c'est elle aussi à qui je tiens le plus. Je pense - bien que je ne puisse pas me l'imaginer - qu'elle a dû à un moment faire une petite escapade. Avant ma naissance, elle était mariée à un Italien et celui-ci ne l'a peut-être pas accepté. je suis blonde et il est brun. Je suis peut-être une enfant illégitime qu'elle aurait abandonnée à sa soeur et à son beau-frère. Au moment de ma naissance, elle a divorcé pour la première fois. C'est donc tout à fait plausible. Ou suis-je en réalité la fille de Van der Grunten ?

Je me demande aussi si j'ai réellement un jumeau. J'ai souvent entendu des allusions à ce sujet, surtout du côté de ma mère, du genre: "Où est sa deuxième moitié ? " Ma grand-tante jet, qui est maintenant décédée, y a fait allusion un jour. C'était une tante de ma mère. Nous l'avons rencontrée, ma mère et moi, au marché à Epe, j'avais environ quatorze ans. Tante Jet a demandé à ma mère: "Quand lui parleras-tu de son autre moitié ?"

Ma mère a esquivé la question et quand je lui ai demandé; ce que tante jet voulait dire, elle a répondu "Oui, tu es un des deux jumeaux, mais ne me casse pas les oreilles avec cela, c'est une histoire terminée." Mais je continuerai jusqu'à avoir entièrement éclairci -la question. Tu ne perds rien pour attendre.


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