Chapitre 4

Le Laarenk a été à tous points de vue le début d'une nouvelle période, car c'est là que ma mère a eu l'idée de faire payer les gens. je suis donc devenue une vraie putain et je me souviens encore très précisément comment cela se passait. Elle avait une relation avec Ab Dompink, l'ex d'une vieille amie à elle. Dompink était un ouvrier du bâtiment au chômage, qui, après son divorce, était traité comme un membre de la famille. Il buvait sec. Il faisait partie du noyau dur du club, mais n'était pas un sadique. Il aimait faire les choses habituelles, baiser "à la grecque", faire des pipes, bref, les choses normales. Il habitait une petite maison de vacances dans un camping et je devais souvent l'y rejoindre pour baiser avec lui. Il a maintenant plus de soixante ans.

Un jour, à l'heure du déjeuner, Dompink m'a violée sur la table de la cuisine. Ma mère me tenait les jambes écartées afin qu'il puisse s'exécuter. Elle l'a avoué texto à la police. Quand Ab a remonté son pantalon, ma mère a dit:

"Eh, attends, cela ne se passe pas comme ça."

Il a pensé qu'elle voulait de l'argent, il a donc sorti de sa poche un billet de vingt-cinq florins qu'il lui a donné. Je la vois encore, avec son air étonné. Elle a pris le billet et a dit : " Ce n'est pas ce que je veux dire ce que je veux, c'est aussi avoir mon tour. "

Mais cela lui a donné des idées, car peu de temps après, tout le monde a dû payer.

J'ai un jour aidé Ab Dompink à violer Yolanda. Nous habitions au Laarenk. J'ai tenu les jambes de Yolanda écartées afin que Ab Donipink puisse la sauter. Cela s'est passé sur la table de la cuisine. Ab Dompink a éjaculé dans Yolanda. Il m'a ensuite donné de l'argent, je ne l'avais pas demandé. (...) Il venait la chercher avec sa Da le savais alors ce qui allait se passer Après l'école, je la laissais se faire sauter par Ab Dompink contre de l'argent. (Dinie, procès-verbal du 23/10/90)

Après, cela s'est encore intensifié. Dans ma vie, il y avait deux choses : l'école et le sexe. Il y avait du sexe chaque jour, les week-ends en étaient pleins et je ne sortais plus jamais pour mon plaisir. Lorsque je devais faire des courses, j'étais morte de peur à l'idée de rencontrer des clients. J'avais connu la plupart des "habitués " au Poelweg à Vaassen, mais un tas de nouveaux clients s'étaient ajoutés. Sjaak Moppes par exemple, un homme entre cinquante-cinq et soixante ans. Il habitait tout près de chez nous dans le quartier. Il était marié, mais je ne crois pas qu'il avait des enfants. Moppes aimait baiser avec ma mère et moi en même temps. La famille Antalya, une famille turque qui habitait à côté de chez nous, participait aussi.

Mon premier bébé est né au Laarenk. J'avais onze ans et les cheveux en brosse. Je ne sais plus si j'avais compris que l'on pouvait avoir des enfants en baisant, toujours est-il que je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. C'est vrai, je n'avais plus mes règles et je me suis mise soudain à manger plein de fromage. Nous avions des visites, ma mère est entrée dans ma chambre avec un plateau de fromages; habituellement je n'en mangeais pas, mais là, j'ai trouvé cela bon; j'ai presque tout mangé.

Ma mère s'en est aperçue et m'a demandé ensuite si j'avais encore mes règles et tout et tout. Elle m'a fait faire un test de grossesse qui était positif. On a fait comme si c'était la chose la plus naturelle du monde, je ne m'en suis donc pas plus inquiétée.

En faisant la vaisselle, ma mère m'a prévenue que j'aurais des douleurs intermittentes; mais je ne devais pas lui rabâcher les oreilles avec cela. La seule chose à faire était d'attendre. Elle m'a interdit aussi de M'attendrir lorsque je sentirais l'enfant donner des coups de pied. Lorsque effectivement je l'ai senti, je n'ai pu m'empêcher de me mettre la main sur le ventre. Ma mère, me voyant, m'a dit: "Tu ne peux pas faire cela, parce que sinon tu vas t'y attacher et ce n'est pas bon pour toi. "

Au début, je trouvais cette créature qui était dans mon ventre très étrange, mais à partir d'un certain moment, je m'y suis habituée et j'ai trouvé cela très chouette. On me disait sans cesse que je ne devais pas m'attendre à ce que l'enfant reste chez nous. Ma mère me disait qu'il était tout à fait normal qu'un enfant né d'une personne aussi jeune que moi soit élevé par quelqu'un d'autre, et donc qu'on l'abandonne.

Il partirait, j'en concluais que c'était ainsi. J'étais en sixième année. Personne à l'école n'a remarqué que j'étais enceinte parce que je n'ai plus suivi les cours de gym à partir du moment où cela a commencé à se voir. je n'en parlais pas non plus car cela relevait de Notre Secret. J'étais étonnée de ne jamais voir aucune autre fille enceinte. Sinon je portais des vêtements larges. La famille Antalya avait une fille, Latifa. Celle-ci avait des super vêtements qui tombaient de manière ample. Elle m'a donné une robe, un peu comme une robe de grossesse : étroite dans le haut et évasée dans le bas, C'était rigolo. Et comme Latifa était plus âgée que moi, la robe était de toute façon déjà trop grande pour moi.

J'ai accouché dans la chambre à coucher de mes parents, seule ma mère était présente, les autres étaient à l'école. À un certain moment, j'ai senti une grande douleur. je pensais que tout se passait mal. J'avais peur de mourir. Je pensais que je n'y arriverais jamais. J'étais complètement paniquée. Ma mère poussait sur mon ventre et me disait ce que je devais faire et ne pas faire.

Je ne sais pas comment, mais cet enfant est finalement venu au monde. Il devait y avoir quelqu'un dans la maison car ma mère est descendue avec l'enfant. Ensuite, elle est remontée et je n'ai plus jamais revu le bébé. Je n'ai jamais su non plus si c'était un garçon ou une fille. Ma mère m'a dit qu'elle l'avait donné et qu'il était maintenant chez d'autres parents. C'était peut-être ces personnes qui attendaient en bas. Un jour, plus tard, lorsque je serais adulte, ils me le rendraient, à condition de leur avoir obéi. Ils ont constamment utilisé cette menace pour les petits jeux S.M., parce qu'ils savaient que je voulais récupérer l'enfant.

"Si tu ne participes pas un peu, on ne te le rendra jamais, tu ne sauras jamais où il est et nous ne te dirons pas qui le garde et où il est élevé ; nous ne te dirons jamais si c'est un garçon ou une fille. " Ce stratagème a vraiment bien marché. Je me disais que je devais faire ce qu'ils disaient car je voulais l'enfant, ce sentiment était très fort. Ils s'en servaient comme moyen de chantage.

"Si tu racontes à quelqu'un qu'un autre enfant à toi vit ici, tu ne reverras plus jamais le premier." Ils faisaient référence à Danny, un enfant qui est né ensuite et qu'ils ont enfermé au grenier, mais je reviendrai à cela plus tard. Au cours des années, j'ai pensé que mon premier enfant était quelque part dans un home, mais une personne bien informée m'a dit récemment qu'il avait été envoyé en douce dans une famille. Il est probable que cette personne connaît le sexe de l'enfant et chez qui il se trouve.

Je lui ai encore demandé si l'enfant était toujours dans cette famille. Il m'a répondu que oui.

On ne m'a rien dit de plus. Cet enfant doit avoir maintenant quatorze ans. Il va sans dire que je voudrais le voir, c'est quand même mon enfant. Cela doit être possible de faire une recherche; une femme avait notamment annoncé une naissance sans avoir auparavant été enceinte. J'espère au moins qu'une déclaration a été faite. La police prend sérieusement cette affaire en considération, mais jusqu'à présent il n'y a aucun résultat.

M. et Mme Antalya, une de leurs trois filles, son mari et leur fils Soeni venaient aussi aux petits jeux sex-uels à la maison. Latifa et sa soeur Aisja ne venaient pas ; je crois qu'elles étaient trop indépendantes. Cette famille est évidemment au courant de ma grossesse, mais selon moi, pour une raison ou une autre, la justice ne tient pas à interroger tout le monde. Je doute d'ailleurs qu'ils veuillent témoigner car ils se sont un jour violemment bagarrés avec mes parents. je ne sais pas exactement pourquoi; c'était une question d'argent. Une période dangereuse a suivi: chaque fois qpe nous ouvrions la porte, des couteaux nous frôlaient les oreilles. C'était Soeni qui les lançait. Cette dispute avec les Antalya nous a incités à déménager très vite. Tout d'abord à Wissel, où nous avons habité quelques mois dans une maison de vacances, ensuite rue Martin Luther King.

Au Laarenk, ma mère est devenue une vraie maquerelle qui prostituait ses filles. Mon père a toujours continué à travailler, tandis que ma mère n'a plus rien fait. Elle avait changé en quelque sorte son hobby en travail. Parfois des clients sont venus et, voyant ce qui se passait, n'ont plus jamais réapparu. Ils se sont cependant bien gardés de dénoncer quoi que ce soit à la police.

Et moi, à onze ans, j'étais une putain, même si je ne connaissais pas ce mot. En sixième année, je me souviens qu'un groupe de garçons était excité à l'idée de se faire une fille qui avait une grosse poitrine.

"C'est une prostituée", disaient-ils.

J'essayais de comprendre ce quêtait une prostituée. Ils m'ont un jour expliqué ce que c'était, avec des rires étouffés. je me demandais comment ils pouvaient dire cela d'elle. C'était ce que moi je faisais alors que je n'avais pas une si grosse poitrine. je ne comprenais rien. Mais je ne disais rien car sinon j'aurais trahi Notre Secret.

C'est aussi au Laarenk que les jeux sont devenus très violents, car il fallait se plier aux volontés des clients. "Les clients ", c'est ainsi que l'on parlait d'eux à la maison. Cependant, les idées émanaient en grande partie de ma mère. Elle désirait les choses les plus étranges. Elle disait toujours que si cela faisait mal, elle baisait bien. J'ai toujours cru qu'elle tirait tout cela des livres dont la maison était pleine. Mais lorsque le juge a dit, lors de la première audience, qu'il n'avait encore jamais lu des choses pareilles, je me suis renseignée. Par exemple, me fourrer dans le vagin des bouteilles avec le goulot cassé, cela, personne n'a pu le lire dans aucun livre. Elle me fourrait de tout dans le vagin, même des pieds de table.

Bien évidemment, je saignais à chaque fois, mais le docteur Pligter réparait les dégâts. je n'ai compris que plus tard que le sang lui faisait prendre son pied. Ma mère s'en enduisait parfois tout le corps. Avoir mes règles était une sorte de soulagement car ce n'était plus nécessaire alors de me battre ou de me couper puisqu'il y avait déjà du sang.

Ils imaginaient toujours quelque chose de nouveau. C'est aussi au Laarenk qu'ils m'ont fait manger pour la première fois des excréments. C'était une idée de mon père. Il avait fait caca, accroupi dans un coin de la pièce, et m'a obligée à le manger. je pensais qu'il plaisantait. C'était quand même inimaginable! Mais il insistait pour que je le mange, et mon frère s'est mis à me donner des coups de pied et à me frapper: "Si Papa dit qu'il faut le faire, il faut le faire! Nom de Dieu, grouille-toi ! " J'ai dû y aller à quatre pattes pendant qu'ils continuaient à me battre. Avant d'avoir pris un morceau, je frémissais tellement d'horreur que j'ai levé la tête pour leur demander encore une fois s'ils étaient vraiment sérieux. Ils m'ont à nouveau donné des coups de pied: "Dépêche-toi et fais-le !"

Bien sûr j'ai dégueulé, mais ils ont continué à me battre jusqu'à ce que je mange cela aussi. Manger des excréments et boire de la pisse sont, depuis lors, devenus la coutume. Mais à cela aussi, on s'habitue: un jour, cela devient aussi normal que de boire du café. Cela arrivait tout le temps. Ils m'en enduisaient aussi. je ne pouvais me rincer que quand tout était fini.

J'avoue que j'ai obligé Yolanda à manger des excréments. Je la tenais par les cheveux pour que'elle lèche les fesses de mon mari ou d'Adriaan après que ceux-ci eurent chié. (..) J'ai quelques fois pissé sur Yolanda. Je le faisais parce que je trouvais cela agréable. Un jour, je lui ai pissé dans la bouche. J'ai aussi pissé dans la bouche de mon mari et d'Adriaan, je trouvais cela agréable. (..) J'ai vu Wouter, mon mari et Adriaan pisser dans la bouche de ma fille. (Dinie, procès-verbal du 23/10/90)

Pour,' autant que je m'en souvienne, depuis mes douze ans, il n'y a pas eu un seul jour sans fête S.M., et toujours avec des clients. Il y en a vite eu beaucoup. Ils venaient des environs. Plus tard, j'ai appris que certains venaient même de très loin. Pendant une période, je rencontrais deux ou trois clients dans chaque rue d'Epe où j'allais. J'ai même une fois dit à la police : "Si tous les hommes d'Epe qui m'ont sautée partaient en même temps en vacances, les magasins feraient faillite. " Avant., j'étais toujours attachée et souvent ma mère ou mon père me bandaient les yeux, parce qu'environ la moitié des clients le demandait. Je trouvais cela épouvantable: pour finir je me demandais dans la rue si c'était lui, lui ou lui... ? je restais attachée entre deux clients. je ne pouvais pas aller me laver. je pense qu'il n'y a encore jamais personne qui ait tenté d'expliquer ces comportements; une explication serait qu'ils faisaient cela probablement pour augmenter leur plaisir. Ils me laissaient souvent attachée toute la nuit. Ils disaient qu'ils avaient oublié et j'étais détachée seulement le lendemain matin. Je ne criais pas parce que cela ne servait à rien; j'ai vite appris à être résignée en toutes circonstances.

Je n'avais jamais la paix. Il arrivait que cela soit terminé après minuit et qu'il n'y ait plus non plus de petite fête de sexe avec mes parents. Je tendais alors l'oreille à tous les bruits venant de l'extérieur ou de l'intérieur de la maison. Au moindre bruit, je pensais: Mon Dieu, en voilà encore un. J'étais souvent trop bavarde. J'ai un jour entendu une voisine dire: "Yolanda au moins dit ce qu'elle pense et ce qu'il en est."

C'était vrai. Je disais ce que je pensais même si j'en prenais plein la gueule. Les étrangers me prenaient pour une fille timide, mais si je connaissais mieux les gens, je leur disais ouvertement ce que je pensais d'eux; si je trouvais que quelqu'un était répugnant, je le lui disais. J'ai par exemple dit à Van der Grunten qu'il avait une sale gueule, qu'il sentait la transpiration et qu'il ne ressemblait à rien.

J'ai toujours dit les choses en face. Parce que je m'opposais souvent à eux, ils ont sans doute essayé de briser ma volonté. je les énervais peut-être énormément, je n'en sais rien.

À l'école, je me taisais et je passais inaperçue. À la récréation, j'avais des camarades mais je ne voulais pas avoir d'amies parce que je n'osais pas les ramener à la maison. je n'allais jamais non plus avec les copains de ma classe parce que ma mère savait précisément à quelle heure j'étais censée être de retour à la maison et j'avais intérêt à y être. je voyais d'autres mères venir chercher leurs enfants et leur demander comment leur journée s'était passée, tandis que moi, je pensais à passer l'aspirateur et à nettoyer la cuisine. On ne venait jamais me chercher et il ne fallait pas espérer qu'on me demande comment s'était passée la journée. À l'école, on ne m'embêtait jamais. Quand on a suggéré que j'aille comme tous les autres enfants dans une école spécialisée, ils m'ont crié que ma place était à la maison.

Cela n'a pas duré longtemps, car après qu'un enseignant en eut parlé à ma mère, elle m'a dit que moi aussi je devais aller à l'école spécialisée. je suis donc allée à l'école Van der Reijden. D'un côté je trouvais cela horrible parce que l'arrêt de bus où je devais attendre se trouvait juste en face de mon école primaire. D'un autre côté, je trouvais cela bien parce qu'à l'école spécialisée, j'étais la meilleure de la classe et que j'y ai eu mon premier petit copain. C'était Job Van Gaais, un frère de ces garçons qui sont maintenant arrêtés. Ils étaient aussi à l'école spécialisée.

Ruud, Guurt, Alfred et leur mère Bep Van Gaais étaient des ordures, mais Job était différent; il faisait exception. Il était la brebis galeuse de la famille, tout comme moi, ou le petit agneau, cela dépend du point de vue. Job m'a prise sous son aile. Si d'autres enfants me faisaient chier, il leur tapait dessus. Après l'école, nous fumions des cigarettes en cachette. Nous faisions tout ensemble et grâce à lui, je pouvais tout supporter. J'étais folle de lui comme de tous ceux qui étaient gentils avec moi.

Le professeur aussi - quel type ! - il était fantastique. Il portait toujours un pantalon et une veste à clous avec un pull en dessous. Il était gentil avec tout le monde. J'étais amoureuse de lui, mais hélas il s'est marié, et il faisait à peine attention à moi parce que je suivais bien en classe. Il a dit à mes parents que je n'étais pas à ma place dans une école spécialisée. C'était dommage parce que c'était une petite classe super. Nous étions très souvent ensemble et personne n'était laissé pour compte. J'ai donc terminé ma sixième année à l'école primaire d'Epe, mais j'ai été très déçue car je me suis retrouvée brutalement dans une grande classe.

Je m'endurcissais, mais chaque fois qu'une nouvelle chose arrivait, j'étais à nouveau détruite et je devais recommencer de zéro. Après un avortement par exemple. Peu de temps après le premier bébé, je suis retombée enceinte. je n'y ai pas vraiment attaché de l'importance. Cela faisait partie de notre vie, c'était comme cela. Mes parents n'en faisaient pas un plat, cela devait donc être bien. Je ne pouvais pas non plus en parler, parce que cela faisait partie de Notre Secret. Je me souviens que je trouvais cela vraiment désagréable d'être enceinte : j'avais peur de m'en réjouir et d'être à nouveau séparée de mon enfant. Et c'est en fait ce qui s'est passé.

Dès que ma grossesse est devenue visible, ils m'ont poussée du haut de l'escalier, m'ont donné des coups de pied dans le ventre et m'ont battue. Ils disaient que je méritais des punitions parce que je me révoltais toujours, mais plus tard, j'ai compris qu'ils voulaient ainsi se débarrasser de l'enfant. Cela n'a pas réussi. Par la suite ma mère a eu l'idée d'utiliser une solution à base de savon. Elle a trouvé une bouteille avec un long gouen plus facile. Je ne voyais pas tout de suite tous les détails mais seulement les choses autour de moi, les formes et les gens. Puis, je voyais clairement les détails, je reconstituais les choses. Au début, je devais me concentrer longtemps, mais après quelques mois, il me suffisait "d'actionner un bouton " pour que je me retrouve dans un coin de la chambre. Je finissais par voir tout ce qui se passait du début à la fin. Ce n'était pas comme quand on regarde un film à la télévision, parce que dans ce cas on peut éprouver quelque chose et moi par contre je n'éprouvais rien. Lorsque tout le monde avait fini et allait picoler, je revenais à moi.

Cela s'est passé ainsi pendant toutes ces années. C'était difficile uniquement quand il arrivait quelque chose de nouveau, quelque chose que je ne connaissais pas, comme les décharges électriques. Alors l'angoisse revenait: Oh là là, qu'est-ce qui m'arrive ? Si vous essayez de vous concentrer, vous verrez que c'est vachement difficile. Mais si j'avais déjà expérimenté la chose, mon truc réussissait à nouveau.

Pendant les petits jeux sexuels, j'étais donc pour ainsi dire insensibilisée. Parfois je ne faisais pas mon exercice de concentration. Chaque fois qu'un nouveau client venait, je pensais que je devais rester consciente parce que tôt ou tard quelqu'un dirait que ce n'était pas bien. Je devrais alors sauter sur l'occasion. Par exemple quand De Raaf s'est joint à nous le pensais que tout allait changer car la police ne pouvait pas tolérer cela. Mais si un nouveau client revenait trois ou quatre fois, mon espoir s'évanouissait et je retournais dans "mon coin ".

Je dirais donc que je n'ai pas réellement vécu tout cela; et c'est peut-être pour cette raison que j'ai survécu. Tout est passé au-dessus de ma tête. Je le fais encore maintenant quand je ne peux pas supporter la souffrance. Les gens disent parfois que je n'écoute rien quand ils me parlent. Ils me trouvent absente mais je ne le suis pas. je vois tout à fait bien ce qui passe, mais c'est comme si j'observais d'un coin de la chambre. Dans ces moments, il ne faut pas me parler. Quand la souffrance devient trop pénible, je me dis qu'il faut que je considère tout à partir de "mon coin ". Il suffit que je pense à avant, que je me rappelle la façon dont je le faisais et cela se produit à nouveau. je me retrouve alors dans un coin de la chambre et je ne sens plus la souffrance.

La souffrance est inexplicable. Elle est en moi, comme une sorte de nausée mais en même temps très différente. Je veux dire... il y a en moi comme une boule, comme si tout en moi se contractait; une grosse boule de souffrance dans mon corps. Elle est toujours là, c'est mon passé, je pense.

Parler du passé ranime cette souffrance, donc avec vous, je l'ai ressentie. Ne l'avez-vous jamais remarqué ? Travailler à ce livre est comme un accouchement avec des contractions. Lorsque je parle de mon passé, je suis soulagée, c'est comme si la boule était plus petite, mais elle se reconstitue à chaque fois. Je pense que je serai libre lorsque cette boule sera partie, mais parfois je crains de ne jamais m'en débarrasser.

Vous voyez bien que toutes mes dents sont presque devenues noires. je me suis brossé les dents pendant des années avec de l'eau de javel parce qu'ils me faisaient faire des choses tellement sales. je me lavais d'ailleurs entièrement avec de l'eau de Javel et de la poudre à récurer. Il n'y a pas longtemps que j'ai arrêté, C'était une sorte d'habitude. Après une petite fête S.M. ou des clients, je me sentais épouvantablement sale, je prenais donc une douche dès que je pouvais. je voudràis avoir à nouveau des dents blanches comme avant, mais selon le dentiste, on ne peut rien y faire. Les parties jaunes sont des couronnes. je les ai depuis que mon père m'a cassé six dents en me donnant un coup de pied. Nous habitions rue Martin Luther King, j'avais douze ans.

C'était après la naissance de Danny en 1980, je ne me souviens pas si l'accouchement a été provoqué. Cela s'est passé en tout cas après une petite heure de jeu, donc cela ne m'étonne pas. Ils m'avaient attachée nue, les bras et les jambes écartés. Quand je dis "ils", il s'agit de mon père, ma mère, Hannes Doever - sa femme Truus et lui comptaient parmi les nouveaux clients S.M. - et le docteur Pligter. Ils avaient aussi attaché des courroies à mes genoux pour que je ne puisse pas serrer les cuisses. Tout le monde était nu et cela a duré environ une heure. Les hommes le faisaient chacun à leur tour, par-devant et par-derrière. je devais leur faire des pipes, ils me battaient avec des fouets et ils agrafaient mes tétons avec des poids. Ma mère se contentait de donner les ordres et de regarder.

Ensuite Danny est né et je ne me souviens plus si c'était le matin, à midi ou le soir. Le docteur Pligter a en tout cas assisté à l'accouchement. Il a demandé à mes parents s'ils savaient ce qu'était le syndrome de Down. Ils ne le connaissaient pas et moi non plus d'ailleurs. Il a alors demandé s'ils savaient ce qu'était un mongolien. Ils le savaient parce que Bert Tulp avait un fils mongolien, un petit trésor. Danny était donc un bébé débile. Ma mère était furieuse. Elle criait: "Même cela, tu ne peux pas bien le faire!" Pligter n'était pas encore parti quand mon père s'est mis en colère; il pouvait se mettre en colère soudainement. Il était furieux parce que j'avais eu un enfant anormal, il m'a donné des coups de pied et des coups de poing là où il pouvait et il m'a battue. Il jurait, criait que l'enfant pouvait être de lui, que ce n'était pas bien et pas concevable. J'étais une incapable, je ne pouvais rien faire convenablement... même mettre au monde un enfant normal... Il continuait à crier.

Lorsqu'il s'est calmé, lui et Doever m'ont tirée par les cheveux hors du lit et ils m'ont attachée nue à une chaise. Mes bras étaient liés derrière le dossier et mes jambes aux pieds de la chaise, une courroie passait autour de mon ventre et du dossier de la chaise. Je souffrais tellement que je ne savais pas d'où venait la douleur et je saignais encore, suite à l'accouchement. Cela les excitait, mon père et Doever bandaient tous les deux et ensuite ils ont commencé à se branler.

Le placenta n'était pas encore sorti. je savais que quelque chose devait sortir, je sentais une pression. je suis restée attachée deux jours sur cette chaise. Je m'en souviens encore, parce que je les ai vus se coucher deux fois. Je ne pouvais rien dire et ils ne me disaient rien non plus. je ne pouvais pas voir l'enfant, je ne pouvais pas bouger et je ne recevais rien à manger.

Mon père a eu l'idée de faire comme si le W.C. était inutilisable et de m'utiliser pour le remplacer. Ils ont renversé la chaise et m'ont laissée dans cette position pendant deux jours et ils ont fait leurs besoins sur mon visage. Je devais les manger et les boire. Si j'osais vomir, je devais rester attachée un jour de plus. Si je détournais la tête, ils me donnaient des coups de pied dans la figure. C'est ainsi que mes dents se sont cassées. je ne pouvais même pas aller aux toilettes, ni essayer de me soulager, sinon je risquais de me prendre une énorme raclée. Mais finalement je ne pouvais pas faire autrement car cela faisait trop mal. Trois dents ont été cassées et trois étaient tellement branlantes qu'on a dû les arracher. Quatre au dessus et deux en dessous. Le nouveau dentiste m'a mis des couronnes à ce moment-là. J'ai dû lui dire que j'étais tombée dans l'escalier. Il n'a pas eu l'idée de demander comment il était possible que six dents aient pu être cassées à des endroits différents. En effet, lorsqu'on tombe, on perd généralement des dents sur la même rangée. je ne me souviens plus du tout de ce que je pensais et ressentais. "Aller dans mon petit coin " ne marchait pas. J'avais très mal dans la bouche, à la tête et au ventre, mais je ne pouvais plus crier ni hurler. Je pense que j'étais anéantie. Ma soeur m'a une fois apporté de l'eau en cachette et m'a finalement détachée. Quand j'ai voulu me lever, la chaise est restée collée à mon derrière et j'étais presque incapable de bouger. Elle m'a traînée sous la douche pour me laver. Mes parents ont remarqué que quelque chose se passait en haut. Et quand ils ont vu que j'avais été libérée trop tôt, ils m'ont fait choisir entre un bain bouillant et un bain glacial. J'ai choisi un bain froid et ils m'y -ont laissée une demi-journée. Ma soeur est venue me voir trois fois pour me demander comment cela allait, si je le supportais. je n'ai pas répondu. J'ai pu enfin sortir quand mes parents ont encore eu envie de faire quelque chose avec moi, et ensuite j'ai pu aller me coucher. J'aurais voulu prendre une douche chaude, mais j'étais trop fatiguée. À cette époque, j'ai dû aller plusieurs fois chez le docteur Pligter. J'avais attrapé une infection parce que le placenta était resté à l'intérieur et j'étais blessée au visage. Es ont mis le bébé au grenier et l'ont couché là sur 86 un petit lit de camp. je ne pouvais pas le voir; c'était pour me punir d'avoir mis cet enfant anormal au monde. Ma mère lui donnait à manger, mais il n'était pas bien soigné. je suis montée en cachette après environ quatre jours car je sentais que mon enfant était là. je l'ai regardé de loin. Il était couché dans sa propre crasse. je n'osais pas le prendre dans mes bras; je n'osais rien dire; je n'osais même pas m'approcher. C'était peut-être complètement idiot mais j'avais peur qu'il me reconnaisse et je me sentais coupable parce que je ne m'occupais pas de lui. je ne sais pas combien de temps s'est écoulé avant que je remonte furtivement, quelques semaines peut-être. Mais l'enfant n'était plus là.

À la maison, tout le monde savait que je l'avais appelé Danny. je me suis demandé longtemps ce qui lui était arrivé. Ce n'est que bien plus tard que j'ai su qu'il existait des orphelinats et j'ai pensé que mes parents l'avaient peut-être envoyé là-bas. Si je demandais ce qui lui était arrivé, ils ne disaient rien. Je m'apercevais cependant que cela remuait en eux des souvenirs. Mon père interrompait ce qu'il était en train de faire et ma mère se mettait à rire. Les autres se taisaient aussi et c'est seulement maintenant que je comprends pourquoi.

Il n'y a pas si longtemps, j'ai appris que Danny avait été fourré dans le congélateur, puisqu'il était de toute façon débile. J'ai alors eu un nouvel accès de paralysie. Lorsque, le soir, je suis assise ici sur ce banc, ces idées me hantent.

Après coup, je comprends beaucoup plus de choses. Dans cette vingt-cinquième année de ma vie, il est arrivé deux deux fois que je découvre un tout autre Arie. La première fois, c'était il y a environ cinq ans. Arie avait planté quelques jeunes sapins et j'ai eu l'impudence de demander s'ils n'étaient pas plantés trop près l'un de l'autre. Il s'est alors mis en'colère ! Je ne l'avais encore jamais vu comme cela. Il poussait des jurons et il a commencé à déraciner tous les plants. " Espèce de salope, espèce de con, espèce de pouffiasse, je ne remettrai plus jamais les pieds ici ", etc. Il a sauté sur sa moto et a disparu. Jétais complètement sous le choc et Van der Woude, un de ses collègues qui était là, est venu me calmer Il m'a dit que Arie était souvent sujet à des crises de colère. Van der Woude, ceci dit, était croyant mais c'était un roublard. Je ne savais pas qu'il était aussi complice. Il me disait de pardonner à Arie. Arie n'était pas un si mauvais bougre. Je lui ai donc pardonné. Plus tard, cela s'est reproduit pour une bêtise ; il m'a alors flanqué un coup de pied dans la figure. Je comprends finalement ces incidents. (Greetje Van der Ven)

Je suis sûre que pour eux c'était le pied de m'avorter ou de tuer mes enfants, ils avaient en effet un comportement bizarre par rapport aux contraceptifs. Lorsque j'ai eu mes règles, ma mère est allée à Vaassen me chercher la pilule. Le docteur a dit que j'étais trop jeune et que la pilule était mauvaise pour moi. Ils ont manifestement continué à croire que la pilule était mauvaise pour moi.

Les avortements ont continué à se dérouler normalement. J'ai avorté seulement une fois à l'hôpital quelques années plus tard. Je suis allée chez le gynécologue, le docteur Brinkman, à l'hôpital Juliana à Apeldoorn. Pligter m'y avait envoyée parce qu'il avait trouvé quelque chose d'anormal sur le frottis. Je suis donc restée un certain temps sous le contrôle de Brinkman. je n'ai plus entendu parler de ce frottis, mais quelque temps après, je suis retombée enceinte, et j'ai encore avorté. je me souviens que cela s'est passé la veille de mon anniversaire, en avril; j'avais quinze ans. Il m'a proposé le stérilet, mais je trouvais que c'était une drôle d'idée. J'ai demandé plutôt la pilule.

Pour cela, ma mère devait donner son accord et vu qu'elle ne connaissait pas le docteur, elle n'a pas osé refuser. La pilule a fait son effet pendant trois mois et lorsque l'assistant de Brinkman a appelé pour la tablette suivante, ma mère a dit que ce n'était plus nécessaire. De toute façon, je n'avais pas de copain. C'était vrai. je n'avais pas de copain, j'avais des clients.

Plus tard, je suis retournée chez un médecin que je ne connaissais pas pour lui demander la pilule. Je n'osais pas la demander à Pligter parce que lui et mes parents étaient comme deux têtes dans un même bonnet. J'avalais les pilules en cachette mais j'en suis vite venue à bout et je n'osais pas demander à Pligter une nouvelle ordonnance. Au début de l'année 1985, je la lui ai quand même demandée. Je lui avais écrit une lettre lui disant que je voulais mettre fin à mes jours et Pligter a peut-être pensé que je ne supportais pas toutes ces grossesses successives. Cela a provoqué une énorme bagarre à la maison: Pligter trouvait que je devais la prendre alors que mon père et ma mère s'y opposaient.

Prendre ce genre de pilule revenait à ingurgiter un tas d'hormones. Ma mère a dit: "C'est très mauvais pour son corps: cela lui créera des problèmes plus tard." Pas de chance pour moi... Peut-être pourrai-je un jour en rire.

Pligter est resté sur ses positions. Je n'ai donc plus pu aller chez lui, j'ai dû aller chez un autre médecin. Pligter continuait cependant à venir comme client. À partir de ce moment, mes parents faisaient très attention à 'ce que j'avalais. Je n'avais pas le culot d'aller une nouvelle fois chez un médecin parce que j'étais terrifiée à l'idée d'être dénoncée. On baisait toujours sans préservatif. Mes parents ont un jour dit à un client qui en demandait que ce n'était pas nécessaire. Ainsi, les clients avaient plus de plaisir. Manifestement mes parents voulaient que je sois enceinte; les moyens de contraception auraient tout gâché. J'ai dit à la police que j'étais réduite au rôle de machine à recevoir du sperme et à faire des bébés.

Je me suis toujours considérée comme une machine. J'allais souvent chez ce nouveau médecin car j'avais besoin de médicaments à tout bout de champ: sécrétions, inflammation, blessures. Mais il ne posait jamais de question. D'ailleurs, je pense que je ne lui aurais rien raconté parce que lui aussi s'entendait bien avec ma mère. Elle venait le voir deux à trois fois par semaine pour son asthme.

Entre-temps, le cercle des clients s'agrandissait. Ma mère les recrutait dans les cafés, elle mettait des annonces dans des journaux porno, elle avait aussi passé un accord avec un chauffeur de bus que je devais accompagner pour qu'il puisse me sauter quand il n'y avait personne dans le bus. Elle en recrutait souvent au Kwebbelkelder, une sorte de café. Pour tout vous dire, elle allait là-bas parce que la deuxième tasse de café était gratuite. S'il restait un sachet de sucre, elle le fourrait dans son sac alors que nous débordions d'argent. Au Kwebbelkelder, elle liait conversation avec le premier venu; elle prenait ensuite un rendez-vous, je devais alors l'accompagner pour que le client puisse voir la marchandise. On buvait habituellement du café avec un petit gâteau et on parlait de la pluie et du beau temps. Plus tard je les revoyais dans ma chambre à coucher.

C'est seulement à l'école d'agriculture que je me suis rendu compte que ce qui se passait chez nous n'était pas tout à fait normal. Mes parents voulaient en fait m'envoyer dans un établissement d'enseignement ménager mais je n'en avais pas envie. J'ai dit au directeur de mon école primaire que je voulais aller à l'école d'agriculture. Là il y avait un garçon que j'aimais bien. Je n'avais pas l'intention d'être fermière. Bien que... je préfère la fréquentation des animaux à celle des hommes. Les animaux ne sont pas hypocrites. Je suis révoltée quand les gens s'écrient: "Quelles bêtes ! " après avoir entendu ce qui m'est arrivé. Les bêtes ne font pas de telles choses, on peut leur faire confiance. J'avais une amie, Ilona, que j'allais chercher le matin pour aller à l'école. Je suis allée chez elle. L'atmosphère était si différente, si agréable. Sa mère était très gentille. On buvait du thé. C'était paisible alors qu'à la maison je redoutais toujours de recevoir une gifle. C'est seulement à ce moment-là que j'ai remarqué la différence. J'ai demandé à Ilona quel était leur Secret.

" Un secret ? Nous n'avons aucun secret ", a-t-elle dit.

Elle m'a demandé pourquoi je voulais savoir cela mais j'ai tenu ma langue. C'était en somme un Secret.

J'ai un jour raconté au directeur de l'école d'agriculture qu'à la maison ils m'avaient enlevé un enfant. Il s'est mis à rire, il a trouvé que j'avais beaucoup d'imagination et il est parti. Je peux comprendre qu'on ne croie pas tout de suite une chose pareille, mais un enfant de douze ans est-il capable d'inventer une telle histoire ? Et même s'il s'agit d'inventions, on devrait au moins avoir les cheveux qui se hérissent sur la tête. Un professeur que l'on côtoie tous les jours ne devrait-il pas avoir la puce à l'oreille ? Il aurait dû au moins soupçonner que cela cachait quelque chose. Ils pensaient au contraire qu'il me manquait une case. À l'école, je m'en suis sortie d'une façon ou d'une autre. je n'avais pas le temps de faire mes devoirs, mais pendant les petits jeux sexuels, je réfléchissais à ce qui avait été dit en classe ; c'était aussi une façon de m'échapper. En m'évadant ainsi, cela ne se passait pas trop mal; je peux, aujourd'hui encore, bien me concentrer dans mon travail. je n'osais pas tricher parce que j'avais peur de me faire engueuler par le professeur, et qu'il me traite comme mes parents.

En deuxième année à l'école d'agriculture, cela m'a paru évident que ce qui se passait chez nous était complètement anormal. J'ai commencé à me révolter. Je devais être à la maison à quatre heures et demie mais je n'arrivais qu'à cinq ou six heures. Je me prenais de terribles raclées mais je le faisais quand même. L'école était ma maison. Là, je me sentais en sécurité. Ils pouvaient me battre autant qu'ils le voulaient, cela ne me faisait plus rien. J'étais continuellement battue.

Au début de l'année 1982, j'ai mis un tas d'amis et d'amies dans la confidence. J'avais presque quatorze ans. Jan, Bionda, Arjan, Christa, Bennie, Ilona et encore quelques-uns. On sortait toujours des cochonneries. A côté de l'école, il y avait une dépendance de l'institut où tante Afra était hospitalisée. Nous allions l'embêter pour la rendre furieuse. Elle courait derrière nous, nous prenions la fuite et nous lui courions ensuite après: un véritable jeu de polissons.

Derrière l'école, il y avait une ferme avec des bêtes et un manège. On y allait souvent pour regarder ou pour aider. C'était grisant. Des handicapés venaient pour apprendre à monter à cheval. Adriaan travaillait comme bénévole. Quand j'ai su que je pouvais avoir confiance en ces amis, je leur ai un jour demandé s'ils voulaient rester et je leur ai raconté qu'à la Saint-Sylvestre j'avais été violée par deux amis de mon frère dans un parc, en face de l'école Van der Reijden. Je n'ai pas osé dire que mon frère aussi était là, je n'ai pas osé raconter non plus ce qui se passait à la maison car j'avais peur qu'ils me trouvent bizarre, que je ne fasse plus partie de leur groupe et qu'ils me laissent tomber.

J'étais enceinte de six mois de mes premiers jumeaux, comme cela s'est révélé plus tard. À l'école, ils ne remarquaient jamais que j'étais enceinte parce que quand cela commençait à se voir, je portais des vêtements amples, par exemple des pulls larges, et je trouvais une excuse pour ne pas faire la gymnastique. Il fallait que personne ne remarque que j'étais enceinte ; mes parents me menaçaient de toutes les façons. Seule mon professeur de danse le savait; elle l'a remarqué. je suivais des cours de danse de salon. je voulais y aller et mes parents me le permettaient parce que ma soeur suivait les même cours; j'étais vraiment bonne. Cela coûtait deux florins cinquante. Ma mère s'en plaignait toujours alors qu'à ce moment-là elle avait déjà de l'argent plein les poches. J'ai dû arrêter les cours de danse à cause de ma grossesse et c'est ainsi que mon professeur a su que j'étais enceinte. Le soir de la Saint-Sylvestre 1981, je n'ai plus pu rester à la maison car mon père avait eu la bonne idée de tirer ce soir-là un feu d'artifice sur mon ventre au lieu d'ëcraser des mégots de cigarettes, ce qu'il faisait habituellement. Je savais qu'il ne plaisantait pas, j'ai donc foutu le camp. Je suis allée retrouver mon frère avec quelques amis, Herman et Peter. Il m'a demandé ce que je faisais là, alors que je devais être à la maison. J'ai dit que je ne voulais pas y être, il m'a alors dit de les accompagner. Nous avons fait des aller-retour dans la rue marchande et nous avons finalement atterri dans un parc.

Mon frère m'a dit que les garçons voulaient plus que regarder les magasins. J'étais encore si naïve que j'ai dit que moi aussi j'en avais assez, mais j'ai fini par comprendre ce qu'ils voulaient dire. Mon frère est parti et j'ai essayé de le suivre, mais Peter m'a poussée sur un banc et m'a violée avec un couteau sous la gorge. Herman est passé ensuite, mais il avait en fait très peur, il a répété sans cesse à Peter d'arrêter. Mais il l'a quand même fait aussi. Je pense qu'il ne voulait pas se montrer tel qu'il était. Il faisait comme s'il prenait son pied, mais je sentais qu'il jouait la comédie. J'avais entre-temps déjà eu tant d'hommes que j'avais développé en quelque sorte un sixième sens... je pense que mon frère épiait à distance, car ils regardaient constamment dans une certaine direction.

J'ai couru à la maison, mes vêtements étaient déchirés. J'étais habituée à beaucoup de choses mais pas à ce genre d'attaque dans un parc, j'étais donc sous le choc et furieuse. J'étais partie alors que cela ne m'était pas permis, mon père était donc en colère, mais vu que les voisins étaient là, mes parents n'ont pas osé me tabasser. Ils m'ont envoyée en haut. Lorsque mon frère est rentré à la maison, je lui ai dit que cette région était pourrie. Il a ri. Il m'a demandé si j'avais trouvé cela bien. Ses amis et lui étaient quant à eux satisfaits. je lui ai dit qu'Herman n'avait pas du tout trouvé cela génial. Il m'a demandé comment je le savais, et j'ai répondu que si un garçon trouvait cela bien, selon moi il prenait son pied. Et ce n'était pas le cas pour lui. C'était ma façon de penser. Pour l'une ou l'autre raison, cela a mis mon frère de mauvaise humeur. Il a disparu et je ne l'ai plus vu de la soirée. Les jours suivants, j'ai réfléchi à ce que je pourrais faire et j'ai rassemblé mes amis et mes amies. Ils m'ont dit qu'ils M'aideraient et qu'ils voyaient comment. Ils trouvaient que je devais parler avec mon professeur de biologie. C'était un type bien qui était toujours disponible et qui voulait bien m'écouter. Je le lui ai d'abord raconté en présence d'une partie du groupe et plus tard encore seul à seul. J'ai aussi dit que j'étais déjà enceinte avant le viol, mais je n'osais pas en raconter davantage.

Je lui ai fait promettre de garder le silence mais il a quand même tout raconté au directeur de l'école. J'étais extrêmement fâchée : je me sentais trahie parce que je voulais conserver Notre Secret. Après coup, j'ai été contente qu'il l'ait dit.

Je remarquais à plein de détails que les professeurs savaient. Le professeur de mathématiques était un con fini mais il était tout à coup tout sucre et tout miel. Je ne devais plus aller au cours si je voulais lire, il me le permettait; si je préférais aller me promener dehors, il me le permettait aussi; il était toujours d'accord.

Roodakker, le professeur de travaux manuels, était collant. Il ne pouvait s'empêcher de nous toucher. Soudain, il restait à un mètre de moi. C'était un avantage. S'il fallait expliquer quelque chose - comment tenir une scie, etc. - il le faisait faire par quelqu'un d'autre. Je trouvais cela très drôle parce que normalement il aurait saisi ma main ou mon bras. Je ne devais plus ratisser le jardin et je ne devais plus non plus faire de la photo parce que tous les produits chimiques n'étaient pas bons pour moi.

Les professeurs devaient donc savoir que j'étais enceinte. Roodakker, avait-il jamais effleuré involontairement mon gros ventre ? Mais on peut dire que les hommes ne voient pas si vite ce genre de choses. Mon père, au contraire, le savait la plupart du temps avant moi. Si j'avais des cernes sous les yeux, il me demandait si j'étais encore enceinte. Je n'en savais rien, mais après le test, il s'avérait qu'il avait raison.

Le professeur de biologie l'avait donc dit au directeur, un homme solennel et imposant avec un piedbot. Il m'a fait venir et m'a dit qu'il trouvait raisonnable de me confier à une assistante sociale.

"Cela vaut mieux, sinon tu feras peser le poids de tes problèmes sur les autres enfants. "

Il m'a emmenée à l'heure du déjeuner dans une vieille Citroën. C'était aux alentours du 20 février 1982. Je m'en souviens encore parce que c'était quelques jours après l'anniversaire de ma soeur. Mais au lieu d'une assistante sociale, il y avait deux policiers dans le bureau du service d'aide sociale: Chris Ahrend et Cor De Vos. Ils enregistraient tout mais j'avais le sentiment qu'ils ne me prenaient pas au sérieux. Ils demandaient continuellement: "Es-tu sûre que cela s'est réellement passé, que tu ne l'as pas imaginé?"

Je comprenais bien que c'était le boulot des fonctionnaires de police, mais ils étaient particulièrement méfiants. Après l'entretien avec les enquêteurs, j'ai rencontré Riet - l'assistante sociale. Elle avait environ trente ans et était très gentille. Elle m'a offert une tasse de thé et elle m'a prise au sérieux. Je lui ai raconté le viol et je lui ai dit que j'étais enceinte. Elle ne m'a pas demandé de qui. Ce n'est pas que je le savais, mais je ne me rappelle plus si quelqu'un m'a jamais posé la question. Je lui ai aussi dit qu'à la maison je ne m'entendais pas avec ma mère. Sans plus, parce que je ne savais pas si je pouvais compter sur elle. Je venais d'avoir l'expérience du professeur de biologie qui avait tout raconté. J'avais l'impression de moucharder, d'être constamment en train de trahir Notre Secret. Riet trouvait qu'elle devait avertir ma mère et tout lui expliquer. Je me disais qu'elle savait déjà tout et qu'il n'était donc pas nécessaire de le lui expliquer. J'ai dit: "Ne fais surtout pas cela, cela n'engendrerait que des disputes. "

Je me disais que j'allais tout rejeter sur la bêtise de ma mère, dire qu'elle ne comprendrait rien et qu'elle en deviendrait folle.

Elle m'a alors demandé si je préférais qu'elle appelle mon père.

Dans la panique, j'ai répondu que ce n'était pas possible parce qu'il travaillait.

Je me disais que je venais de faire un pacte avec lui à propos de Notre Secret, ce n'était donc pas possible. Riet jugeait quand même cela nécessaire. Elle a essayé de me rassurer en disant qu'elle trouverait la bonne manière pour lui expliquer.

Finalement on a appelé ma mère et elle a joué une comédie terriblement hypocrite. Je voyais bien à son comportement qu'elle se retenait, qu'elle se disait: oh, merde, elle a tout raconté. Quand Riet a eu fini de parler, ma mère est devenue très sérieuse, elle trouvait cela horrible pour moi, se demandait ce qu'on pouvait faire, comment m'aider au mieux et elle s'écriait: "Si j'avais su, c'est horrible... " et patati et patata.

Juste après la déposition de 1982, Dinie m'a appelée en larmes, elle était dans de sales draps. C'était au moment où Yolanda venait d'être violée dans le parc par ces deux garçons. Elle me demandait de venir la consoler. Elle trouvait cela si scandaleux, Adriaan tuerait ces garçons avec une hache. C'était donc de la pure comédie. Je vois encore Dinie devant moi, avec ses vêtements luxueux, ses belles bottes et son sac. Mantenant je sais d'où elle tirait l'argent. Avec du recul, je vois un tas de choses complètement différemment. Mais à quoi bon, qu'est-ce qu'on peut en retirer maintenant (Greetje Van der Ven)

J'étais furieuse. Je me disais : Nom de Dieu, c'est fou qu'une assistante sociale ne voie pas qu'elle ment à ce point-là. Même un enfant aurait pu le voir. Et elle aurait pu le voir à ses grimaces. Elle mettait la main devant la bouche d'une certaine façon, elle regardait par terre avec un air bête et répondait de manière évasive. Elle commençait à détourner la conversation tout en se tordant les mains de désespoir.

Quand Riet a eu fini de parler, ma mère a dit qu'elle avait une nièce qui trouvait aussi que j'avais des problèmes et que je pouvais lui en parler. Elle a dit qu'elle irait faire les magasins avec moi. "Parce que tu as aussi besoin d'avoir de beaux vêtements."

Elle a commencé à parler de vêtements et d'autres bêtises de ce genre qui n'avaient rien à voir avec le sujet. J'ai alors commencé à me méfier de Riet parce qu'elle ne voyait pas que ma mère était en train de mentir froidement. Ensuite ma mère m'a ramenée à la maison. Papa nous attendait, en colère, parce que Riet les avait dé à appelés. J'ai tout de suite dit que je n'avais pas donné leurs noms et que je ne les donnerais pas; que c'était Notre Secret et que cela le resterait. Mais ils m'ont battue avec ce qui leur tombait sous la main jusqu'à ce que mon père dise à ma mère qu'elle devait arrêter afin qu'ils trouvent une solution. Ensuite mon père et Adriaan m'ont raconté chacun une histoire différente, que je devais retenir, afin que la police ne puisse établir aucun rapport avec eux. Ces histoires étaient un fouillis indescriptible, il ne faut donc pas espérer que je m'en souvienne maintenant. je me rappelle seulement certains détails. Cela aurait dû se passer dans les bois, juste à côté du Domaine. Les acteurs auraient dû être deux garçons que je ne connaissais pas et qui m'avaient pêchée à la discothèque d'Epe. Ils se seraient aussi appelés Peter et Herman, étant donné que j'avais utilisé les prénoms des amis d'Adriaan. Dans l'autre histoire, j'avais été violée dans une voiture par deux garçons inconnus de la caserne de 't Harde. Il s'agissait aussi d'un Peter et d'un Herman.

À propos du viol de Yolanda par deux garçons d'Epe, je déclare que je l'ai forcée à retirer sa déclaration. Je l'ai giflée et il se peut aussi que je lui aie donné des coups de pied avec mes sabots. Je craignais que tout soit dévoilé par la déclaration qu'elle avait faite. (Arie, procès-verbal du 22/10/90)

Le lendemain, morte de peur, je suis retournée à vélo au bureau de police. Je ne savais pas quelle histoire choisir, j'ai donc embrouillé les deux et j'ai fini par avouer. Mon père m'avait par exemple dit que je devais raconter que j'avais été emmenée dans une petite maison blanche près du Domaine, qu'ils y étaient entrés par effraction et qu'ils m'avaient violée à l'intérieur. Les policiers m'ont alors embarquée dans leur voiture et m'ont demandé de leur indiquer la maison. je leur ai montré une maison: une grande maison blanche, mais où il n'y avait aucune trace d'effraction. Sur le chemin du retour, ils m'ont demandé si enfin j'allais leur raconter la vérité. Alors j'ai dit: "La première histoire est vraie. Mais il faut ajouter que mon père et mon frère abusent de moi à la maison."

Ils trouvaient que j'avais trop d'imagination. je leur ai dit que ce n'était pas le fruit de mon imagination mais ils ne comprenaient pas. A partir de ce momentlà, ils n'ont plus rien pris au sérieux. Ils m'ont renvoyée à la maison pour réfléchir, en ne me permettant de revenir que si je savais comment cela s'était vraiment..'passé. Ils ont arrêté les garçons mais les ont relâchés ensuite. Peter avait tout nié et Herman avait, je crois, avoué à moitié, mais ensuite s'était probablement rétracté.

Ahrend et De Vos souhaitaient un examen pour vérifier si j'étais vraiment enceinte. Comme si le diable s'en mêlait, ils ont demandé à Pligter. L'assistant qui travaillait avec lui m'a dit qu'il voyait bien que j'étais enceinte, mais Pligter m'a prise à part et m'a dit: "Nous dirons que tu n'es pas enceinte, car tu ne peux pas faire cela à tes parents. "

J'ai été vraiment naïve de croire cela. Après coup j'ai aussi compris qu'il avait peur pour sa propre peau. Il a dit à la police que je souffrais d'une inflammation de la paroi abdominale et que c'était pour cette raison que j'étais si grosse. La police a donc été parfaitement convaincue que j'étais une mythomane et que j'avais tout inventé. Pligter avait dans ses dossiers un test négatif alors qu'ils n'avaient rien testé, pas même prélevé du sang ou de l'urine.

J'en étais dégoûtée. À l'école, j'ai à nouveau rassemblé mes amis et leur ai raconté ce qui s'était passé. je leur ai dit que j'avais retiré ma première déclaration sous la menace et que j'avais raconté une histoire bidon. Ils m'ont conseillé de retourner à la police et de tout avouer franchement. Ainsi, j'aurais le sentiment d'avoir dit la vérité, qu'ils me croient ou non. Il a fallu encore quelque temps avant que j'ose.

Mes parents ont dû être paniqués à l'idée que ma grossesse prouve qu'à la maison cela ne tournait pas rond. Ils ont donc provoqué l'accouchement. Ma mère me tenait et mon père me donnait des coups de pied et des coups de poing sur le ventre. Ils me balançaient plus loin et criaient que j'aurais dû surveiller mes paroles et raconter la bonne histoire.

Je me suis enfuie dans ma chambre et, arrivée là, j'ai senti une douleur dans le ventre, mais elle est vite passée. je les entendais dire que j'aurais dû me taire. Ils faisaient vraisemblablement référence à ma déclaration. J'ai eu à nouveau mal au ventre et à nouveau la douleur a disparu. Lorsque j'ai commencé à perdre du sang, mes parents ont su que j'étais en train d'accoucher.

Toute la famille était là. je ne pense pas que tout le monde savait ce qui allait se passer parce que j'ai entendu quelqu'un me dire: "Si tu le fais maintenant, tu en seras débarrassée. " Mais cela n'allait pas du tout. Alors ma mère a demandé à Adriaan d'aller chercher en haut des outils pour attraper le bébé. Il n'a pas voulu, mon père l'a saisi à la gorge et l'a serré jusqu'à ce qu'il en devienne bleu. Il est donc monté et il est revenu un peu plus tard avec les outils. Il s'agissait des tenailles dont se servait mon père pour son travail et d'une perceuse électrique.

Quand j'ai vu cela, paniquée, je me suis traînée hors du lit et je me suis mise en boule dans un coin tandis que le bébé s'apprêtait à sortir. je ne savais pas encore que deux bébés allaient naître. Mon père et Adriaan m'ont à nouveau traînée sur le lit et m'ont attachée. Quand la tête est apparue, ma mère a essayé d'avoir une prise avec les tenailles, mais cela n'a pas réussi. Mon frère a donc foré un trou dans son petit crâne. Ma mère a essayé de couper avec les tenailles jusqu'à ce qu'elle parvienne à entrer les doigts, elle l'a ensuite tiré en morceaux et découpé. Mon père appuyait fort sur mon ventre. Dès que quelque chose sortait, elle le coupait. Elle a finalement eu une prise et elle a sorti le bébé.

Elle l'a soulevé et a dit: "Regardez. "

J'ai vu que c'était un petit garçon et qu'il y avait un morceau de sa petite tête qui était parti. je me souviens que quelqu'un a posé une main sur ma tête pour me consoler et a chuchoté : "C'est dégoûtant."

Il s'est passé un moment avant que les contractions ne reprennent. Ma mère a dit: "Cela doit être le placenta. "

Mais ce n'était pas cela. Elle a dit que des petits pieds apparaissaient, et que donc il y en avait un autre qui arrivait. J'attendais les contractions de l'expulsion afin que je puisse y aider mais ma mère ne les a pas attendues. Elle a tiré les petits pieds. je poussais des cris perçants. Mon père me tenait et mon frère regardait.

Le deuxième enfant était une petite fille mais je n'ai pas vu si elle bougeait. Ensuite mon père et ma mère ont découpé en morceaux les petits corps et ils les ont mis dans un sac poubelle. Je ne sais pas ce qu'ils ont fait des cadavres.

Je leur ai donné plus tard des noms : Jamy et Melany. Mes parents trouvaient cela ridicule, mais après tout C'était mes enfants.

Lorsque tout fut fini, mes parents et Adriaan sont partis. On m'a mise sous la douche et on m'a rincée. Ma soeur est restée avec moi pour me consoler. je n'oublierai jamais comment elle pleurait, courait d'un côté à l'autre et criait : "Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible. "

Il m'a semblé qu'elle a fait les cent pas durant toute la nuit. Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, ce n'est pas possible. Le lendemain matin elle est partie. Dès ce jour, je me souviens que je l'ai trouvée différente. Comment dire... elle n'était plus une enfant. Elle s'habillait et se comportait plus comme une adulte.

À la maison, on ne pouvait plus parler des petits: C'était arrivé et c'était fini. J'ai toujours pensé que j'étais traitée comme une vache qui devait vêler. Si le vêlement ne se déroulait pas bien, ils le sortaient aussi par morceaux.

Je réfléchis encore souvent à l'état dans lequel j'étais, à ce que pensais et à ce que je faisais.. . mais j'en suis maintenant débarrassée. Il y a encore beaucoup de choses dont je me souviens mais je parviens difficilement à les ordonner dans ma tête. À cette époque j'errais toute la journée comme un zombie; je dormais et mangeais à peine. J'allais à l'école mais je me disputais avec tout le monde. je pense que je ne supportais personne autour de moi qui me trouve gentille. J'étais en effet morte de peur qu'il leur arrive quelque chose.

Riet m'a conduite au commissariat de police pour que je raconte la véritable histoire. Il fallait appeler Ahrend et De Vos parce qu'ils étaient à la maison. Je leur ai dit que je m'en tenais à ma première déclaration, pourquoi je l'avais transformée et que je ne voulais plus jamais retourner à la maison. Je leur ai aussi raconté ce qui se passait à la maison, que mon frère et mon père abusaient de moi. Je n'ai par contre rien dit à personne au sujet de ces meurtres de bébés. Ils me trouvaient déjà mythomane à cause de toutes ces déclarations contradictoires, n'imaginez donc pas que j'aurais osé dire cela. Et si j'avais osé, je n'aurais probablement pas trouvé de mots pour le dire. Après un moment, j'ai dû aller m'asseoir dans la salle des interrogatoires, toute seule, pour réfléchir. Ce qui s'est passé ensuite, ils le démentent sur tous les tons, mais voici ma version.

Peu de temps après, Ahrend et De Vos sont arrivés. Ils étaient très fâchés. Ils trouvaient cela scandaleux que j'essaye de dénigrer mes parents. Mon père ? Me violer ? Ce n'était pas possible. Ils le connaissaient parce qu'il entretenait le jardin public autour du poste de police. Faire une fausse déclaration était très grave. À cause de filles comme moi les vraies victimes seraient d'autant moins crues.

De Vos a dit: "Nous allons te montrer ce que c'est que d'être violée; ainsi, tu n'en parleras plus. " J'ai dû me coucher sur une table et enlever mon pantalon. De Vos m'a violée en baissant uniquement son pantalon. Me rebeller? Comment, mon Dieu, aurais-je pu faire quelque chose contre des policiers? je n'osais pas broncher. J'ai seulement hurlé très fort parce que je crevais de douleur. je saignais encore suite à l'accouchement. Quelle cochonnerie! De Vos a tout nettoyé avec du papier-cul. je ne sais plus grand-chose d'autre au sujet de cette soirée, si ce n'est que De Vos avait un caleçon bleu. Ahrend regardait. Quand De Vos a joui, j'ai dû faire une pipe à Ahrend. Il était petit de taille. Je ne me souviens de rien d'autre, si ce n'est une remarque obscène de De Vos : il trouvait que je devais faire plus de sport car pour une fille de treize ans, j'avais le ventre mou. Mais c'était bien sûr à cause de la grossesse.

J'ai pu ensuite me rhabiller. J'ai dû rester assise et ils ont quitté la pièce. Il y avait d'autres policiers dans ce bureau. L'un d'eux m'a apporté une tasse de café. Il m'a dit : " Comment peux-tu faire cela à tes parents ? Ce sont des gens si gentils. Ils n'ont pas mérité tous ces malheurs. "

Personne ne se demandait pourquoi moi j'avais mérité cela. Rien de ce qui m'est arrivé les années précédentes n'a été aussi grave que ce qu'ils ont fait aux deux petits. Cet agent prétend maintenant qu'il ne se souvient pas m'avoir offert une tasse de café après le viol dans la salle des interrogatoires. À d'autres ! Une fille de treize ans qui accuse ses parents de viol alors qu'ils sont connus de la police, ce n'est pas un banal accident de moto. Je m'en souviens encore très précisément, mais lui ne se souvient de rien. Je n'ai rien dit à Riet à propos du viol. J'étais morte de peur et de toute façon, elle ne m'aurait pas crue.

J'ai cependant dit à la police que je savais quelque chose à propos de l'attaque dans un supermarché, le 26 février. Mon frère et quelques amis étaient impliqués. J'ai pensé qu'ainsi elle prendrait peut-être aussi au sérieux le reste de mon histoire. Je lui ai dit ce que j'en savais, ce que j'avais entendu, comment cela s'était passé. On peut retrouver des traces de l'attaque dans les dossiers de la police, mais les conclusions du procès-verbal ont mystérieusement disparu.

À cette époque, j'ai dormi une nuit chez Riet parce que je refusais de retourner chez mes parents. Je me souviens que nous avons mangé du nasi goreng et que nous avons beaucoup parlé. je n'ai rien osé lâcher à propos du meurtre. J'ai seulement dit qu'un tas de choses s'étaient passées à la maison. Elle ne se souvient plus maintenant que j'étais enceinte, mais je me vois encore, lors d'une de ces conversations, tendre mon pull pour lui faire voir mon ventre.

Nous sommes retournées ensemble au poste de police parce que j'avais une peur bleue des deux agents. Riet ne l'a apparemment pas senti. Elle aura sans doute pensé que j'avais peur à cause de tout ce qui s'était passé à la maison. En accord avec l'organisme de protection de la jeunesse, il a été décidé de me placer dans une famille d'accueil. Il manque plus ou moins deux semaines, aux alentours de cette période, dans les rapports quotidiens des vacations de policiers. Ceux du soir du viol dans la salle des interrogatoires manquent, et le fait que j'ai donné des informations sur l'attaque dans le magasin n'est pas non plus mentionné.

Les procès-verbaux de cette période ont été pendant tout un temps introuvables mais ils viennent de refaire surface. Pendant l'enquête préliminaire, on ne les a pas trouvés, je les ai en ma possession seulement depuis l'été 1993. Manifestement il y a eu des traficotages. Cette histoire ne tient pas debout. Pour commencer, les dates auxquelles ils affirment avoir été chez Pligter pour le soi-disant test de grossesse ne correspondent pas. Entre leurs dates et celles des dossiers de Pligter, on trouve une différence de presque deux semaines. Il est mentionné que ma grossesse est le résultat de l'agression, alors que j'ai déclaré que j'étais déjà enceinte depuis six mois. Ils ont bâclé les comptes rendus des déclarations, non pas à l'époque mais récemment.

À en croire les procès-verbaux, tout aurait dû se passer en un week-end: samedi 13 mars 1982, j'ai fait ma déclaration; le 14 mars, je l'ai retirée et j'ai été immédiatement envoyée dans une famille d'accueil. C'est tout simplement faux. Dans les papiers de cette famille, le samedi 13 mars est noté comme la date à laquelle ils m'ont accueillie. En outre, j'avais déjà fait la première déclaration au moins trois semaines auparavant et dans les semaines qui ont suivi, j'ai eu souvent des contacts avec les enquêteurs. Heureusement que Riet l'a confirmé. Mais aucun rapport de police ne mentionne qu'elle est venue me chercher et qu'elle est retournée plus tard avec moi au bureau de police.

Une autre personne a aussi déclaré pendant l'enquête que De Raaf venait plusieurs fois par semaine chez nous à Vaassen. Elle a aussi dénoncé ce qu'il faisait avec moi. Cette personne a par ailleurs témoigné sur mes déclarations de l'époque quant au viol dans la salle des interrogatoires, et elle a déclaré que De Vos et Léo Wolff sont venus plus tard à la maison comme clients. Wolff était une grosse larve dont j'ai fait la connaissance plus tard. Les déclarations sont entre les mains de la police judiciaire, mais rien n'est entrepris. Mon amie Koosje Doever peut co nfirmer un tas de choses au sujet de ce qui m'est arrivé. Les mêmes Ahrend et De Vos lui ont également tout fait subir. Elle a habité chez nous et elle a vu ces policiers venir comme clients mais elle n'a pas été interrogée par la police judiciaire.

Pourquoi ? Parce qu'elle était enceinte. Une maladie sinistre que d'être enceinte. Le procureur de la reine ne trouvait aucune raison valable pour procéder à une poursuite.

Le service d'assistance sociale doit avoir su qu'il s'était passé quelque chose entre la police et moi ou qu'il y avait des gens dans la police qui avaient de mauvaises moeurs. Ce n'est que des années plus tard que j'ai essayé d'analyser cela plus froidement. En 1982, j'étais morte de peur et, à treize ans, on ne raisonne pas beaucoup. Lorsqu'on sait, en tant qu'assistante sociale, qu'une fille est violée à la maison, la première chose que l'on dit à la fille est ceci: "Viens, ma fille, nous allons à la police, nous allons en parler pour voir ce qu'on peut faire. " À moins que, bien évidemment, on sache quelque chose qui rende le silence préférable. je ne sais plus exactement ce que j'ai raconté à Riet au cours de mes déclarations, mais ce que j'ai encore clairement à l'esprit, c'est la conversation que nous avons eue, Riet, mes parents et moi, avec Mme Zijlmans - de la protection de la jeunesse. J'étais déjà dans une famille d'accueil. J'entends encore mon père avouer qu'ils abusaient de moi. je n'avais rien osé dire contre ma mère parce qu'elle me terrifiait. Adriaan est venu un peu plus tard. Il a couru tout de suite à la cuisine, il a saisi un grand couteau et a voulu se' jeter sur moi. Zijlmans a retenu mon frère et mon père et j'ai vite couru à la voiture avec Riet. Elle était sûrement d'accord avec moi pour que je ne retourne plus à la maison, mais elle ne savait toujours pas ce qui s'était vraiment passé. Ils ont probablement pensé qu'Adriaan s'était mis dans une telle colère parce que j'avais cafardé ses amis soi-disant "innocents ".

Lorsque je regarde en arrière, je trouve que ce qui s'est passé avec la police est le pire qui me soit jamais arrivé. Pas tant à cause du le viol qui est déjà en soi une catastrophe - je n'étais finalement pas habituée à autre chose - ni des policiers qui sont venus plus tard chez nous comme clients, mais parce que j'ai pour la première fois, en février 1982, osé demander de l'aide. C'est à cause de mes rapports avec la police que l'enfer a encore duré huit ans. En effet, à partir de cette période, je n'ai vraiment plus fait confiance à personne. Au lieu de mettre fin à cette situation abominable à la maison, mes parents ont reçu en quelque sorte un encouragement à continuer. Même si juridiquement on ne pourra jamais prouver que les deux m'ont violée, il faut au moins que cela soit clair: à ce moment-là ils n'ont pas fait leur boulot. La presse s'indigne de ce que le bourgmestre d'Epe refuse de les déclarer innocents.

Les policiers, qui pensait que Yolanda Van B. les a accusés parce qu'elle leur en voulait de ne pas avoir traité, durant l'enquête de 1982, son affaire comme elle l'entendait, sont avant tout profondement déçus par la prise de position du bourgmestre. "Il n'a pas dit: je suis vraiment désolé, je pense que vous êtes innocents. De plus, il ne nous a pas présenté des excuses : cela me dépasse, c'est au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Je ne peux supporter l'injustice. C'est pour cette raison aussi que j'ai choisi à l'époque de m'engager dans la police", a déclaré le brîgadier (..) (Algemeen Dagblad, 09/10/1993)

Le sexologue Hans Jossen pense aussi que j'ai accusé la police par rancune. Cet été, durant l'enquête sur les policiers, il a un jour assisté à un interrogatoire de la police judiciaire. Quand les enquêteurs sont partis, Jossen a conclu : "J'ai un jour rencontré une fille qui racontait des choses similaires, celles-ci se sont d'ailleurs avérées plus tard, pour la plupart, inventées. Elle faisait cela parce que quelques policiers qu'elle connaissait pouvaient en tirer parti... "

J'ai dit: "Ce n'est pas nécessaire que tu achèves ton histoire. Tu veux dire que j'aurais inventé cela pour procurer par exemple une meilleure place dans la police à Bumper ou à Marcel - devenus plus tard pour moi des personnes de confiance. S'il s'agissait de rancune, pourquoi ai-je donc dénoncé d'autres policiers que ceux déjà impliqués dans la déclaration?" Il m'était impossible de connaître les autres. Jossen me regardait fixement, il était écarlate et il n'a plus rien dit.

Je peux très bien imaginer que beaucoup de gens disent: "Mais c'est impossible. " S'ils le disent, que ce soit en face au lieu de raconter n'importe quoi derrière mon dos. Je ne vois pas d'inconvénient à ce qu'ils me demandent: "As-tu inventé cela, oui ou non?" Ça, c'est franc. Mais je ne veux pas de: "J'ai un jour rencontré une fille, qui... etc. " Ce genre de personne, je n'en veux pas. je le leur ai également dit. Je veux savoir, pour chacun, si je peux m'embarquer dans une affaire avec lui. Ils peuvent compter sur ma franchise, mais j'en exige autant d'eux. Qu'ils commencent par accepter l'idée que je ne suis pas en train de fabuler. Même Bumper, l'enquêteur qui a enregistré mes dernières dépositions et qui, dès le premier contact, m'a prise au sérieux, m'a un jour demandé: "As-tu vraiment vécu tout cela ? Comment est-ce possible dans ce cas que tu sois encore là?" Moi-même, je n'en sais strictement rien et c'est ce que je lui ai répondu. Et quand il m'a dit: "Ce n'est pas possible ", il m'a donné l'occasion de lui expliquer pourquoi ça l'était. Impossible n'existe pas, en tout cas pas pour moi. je me sentais vraiment impuissante. J'ai proposé à la police, par l'intermédiaire du service d'enquête, de renouveler mes accusations en public, au poste de police, en présence de tous les membres de la police. Ils n'ont pas réagi à ma proposition mais elle est toujours valable.


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