Chapitre 5

J'ai vécu neuf semaines dans la famille d'accueil de Martha jusqu'à ce que mon père, un jour, vienne brandir un couteau devant la grille et gueule qu'il voulait me tuer.

C'était des gens très gentils qui avaient une fille, trois filles adoptives et deux fils adoptifs. Martha est un ange. C'était une maison agréable. je m'y suis sentie très bien. Il y avait toujours quelqu'un à la maison. Ils ne me laissaient jamais seule et il ne se passait jamais rien de bizarre. La maison se trouvait au milieu des bois et un grand bouvier courait dans le jardin. Là, j'ai fêté mes quatorze ans. Tante Corrie et oncle Jaap, qui habitent à Emst, sont souvent venus me chercher après ma déposition. je leur ai raconté dans les grandes lignes ce qui se passait à la maison. Mon père leur avait dit que j'étais complètement mythomane, mais tante Corrie a répondu: "Un enfant n'invente pas une chose pareille."

Ils l'ont donc toujours su. Après la déposition de 1990, je suis allée une dernière fois à Emst. Ma tante n'était pas à la maison, mais oncle Jaap travaillait dans le jardin. Il m'a avoué: "Oh, à l'époque, j'ai essayé de t'aider mais cela a entraîné une querelle de famille. Je n'ai donc plus tenté de le faire. "

Après cela, je n'ai plus jamais entendu parler d'eux. Les personnes auxquelles je tenais se sont retirées chacune à leur tour. je n'ai jamais raconté à ma famille d'accueil ce qui s'était passé à la maison et au poste de police, car avant que je me sente suffisamment à l'aise pour oser le faire, je les avais déjà quittés, je me sentais en sécurité chez Martha, mais lorsque mon père rôdait à la grille, elle-même ne se sentait plus en sécurité. Mon père connaissait des gens dans la police. Ceux-ci lui avaient évidemment rapporté ce que j'avais dit sur lui, c'est pourquoi il était si furieux. Mon frère tournait autour de la maison en voiture et nous recevions des menaces téléphoniques.

Martha perdait courage : elle était responsable des autres enfants. Avec l'accord de Riet, je suis partie. Je commençais à peine à me sentir pour la première fois chez moi quand j'ai dû partir. Martha et une des filles adoptives m'ont emmenée dans un home pour enfants à problèmes à Brummen. Cela ressemblait à un château. Martha a dit: "Regarde un peu comme c'est beau, c'est là que tu vas habiter."

Je trouvais cela horrible. je me disais qu'elle se débarrassait de moi; je ne devais donc plus être gentille avec elle; je ne devais plus faire quoi que ce soit de bien. Je ne voulais plus jamais être gentille avec personne. Pourquoi aurais-je dû ? Après coup, je ne reproche rien à Martha, je la comprends.

Le home hébergeait quatre groupes d'enfants. Nous sommes entrées dans un grand vestibule avec des petits bancs et un énorme escalier. J'ai rencontré les membres de la direction, on m'a montré la chambre où je dormirai et on m'a présentée à un groupe de mon age. Il y avait quatre ou cinq filles et environ huit garçons de dix à seize ans. je me suis tout de suite bien entendue avec Ria., une grosse fille qui est encore une amie aujourd'hui. Nous faisions tout ensemble. Je lui racontais peu sur ma famille. Je lui disais uniquement que j'avais vécu dans une famille d'accueil parce que mes parents ne me donnaient pas assez à manger. La direction en savait peut-être plus, mais personne ne m'a demandé ce qui s'était passé, ce que j'en avais pensé, comment je l'avais vécu. jamais.

À nouveau tout était bien. La nuit nous sortions en cachette. Nous nous attendions les uns les autres dans les buissons pour aller à la piscine. Lorsque nous revenions, l'alarme se déclenchait. Comme punition, nous devions rester dans notre chambre. Mais je m'échappais à nouveau par la fenêtre. La journée, nous allions souvent à Zutphen. C'était vraiment rigolo. On mettait un pantalon large, on entrait dans un magasin, on en enfilait un autre dessous et on sortait du magasin. On piquait aussi des chaussures: on fourrait les vieilles dans la boîte et on partait avec les neuves. On chipait les distributeurs de chewing-gum en les arrachant tout simplement du mur. On s'est fait poisser en train de piquer des vêtements dans le vestiaire de la piscine. Ce qu'on a ri ! je trouvais cela génial, mais surtout parce qu'on le faisait ensemble. Pourquoi me serais-je bien conduite ? De toute façon, cela n'en valait pas la peine. Je faisais la dure. Vis-à-vis des autres on osait tout. Si tu le fais, je le fais. Je me suis aussi liée d'amitié avec un garçon, un certain Marcel. Il venait s'asseoir à côté de moi et passait son bras autour de mon épaule. Personne ne l'avait jamais fait. Il volait toutes sortes de choses pour que je sois plus belle : des bijoux, des vêtements, des chaussures. Je trouvais cela très chouette, non pas le fait de voler, mais le geste. J'ai raconté à Marcel qu'on abusait de moi à la maison et que j'avais eu un enfant.

Il m'a dit: "Si je t'avais connue plus tôt, nous l'aurions élevé ensemble. "

Il était tout pour moi. J'étais éperdument amoureuse. Nous faisions des plans pour habiter ensemble.

Mais Marcel a dû aller dans une maison de correction à Apeldoorn. À nouveau disparaissait quelqu'un à qui je m'étais attachée. C'est la goutte qui fait déborder le vase. J'en ai eu marre du home, de m'occuper de tout un groupe et de perdre quelqu'un à qui je tenais. Vous diriez que cet endroit était pour moi un paradis parce que j'étais libérée de tous les malheurs de la maison et que je pouvais faire et ne pas faire ce que je voulais; mais c'était justement à cela que je n'étais pas habituée. Je me sentais comme un canari qui a passé sa vie entière dans une cage et que soudain on relâche. Il se cogne la tête contre les arbres et ne veut qu'une chose: retourner dans sa cage. Cela semble complètement idiot, mais, en fait, je voulais rentrer à la maison. D'une certaine manière, la maison me manquait. Pour moi, coucher avec quelqu'un était un signe que j'étais acceptée, comme un signe d'appartenance à quelque chose. Lorsque les hommes me prenaient, ils me trouvaient bonne. J'étais donc une des leurs et mes parents étaient alors gentils avec moi. Il n'y avait rien de particulier à cela. je n'étais pas habituée à autre chose. Tout comme les autres parents disent à leurs enfants qui rentrent de l'école: "Viens prendre une tasse de thé ", mes parents me disaient: "Viens baiser. "

Je n'ai jamais trouvé le sexe agréable en soi. je ne savais tout bêtement pas que le sexe procurait du plaisir. je le faisais par souci de la famille et pour être acceptée. je me suis donc fait presque tous les garçons du home. Lorsque je m'échappais par la fenêtre, je pouvais accéder à la section des garçons, de l'autre côté, en passant par la gouttière et au-dessus du toit.

Les victimes de l'inceste sont pour ainsi dire imprégnées des circonstances dans lesquelles elles ont vécu. Même si leur vie est horrible, elle leur est familière. Elles ne savent rien d'autre que ce qu'elles ont appris : les relations fonctionnent ainsi, je suis comme je suis, les gens sont comme ils sont, je serai toujours la victime. Leur représentation du monde est comme cela, tout ce qui n'y correspond pas des relations sexuelles normales par exemple - est menaçant. Ils retournent presque toujours à des situations qui leur sont familières. (Prof. Van der Hart)

J'ai fait l'amour "normalement " pour la première fois au home. Bien que, normal, normal,... je ne savais pas ce que c'était. J'ai trouvé que Marcel avait peu d'expérience. À mes yeux, aller et venir, ce n'était pas du sexe. Pour moi le S.M. était normal, donc j'attendais chaque fois qu'il m'attache. Non pas que je trouvais cela agréable, mais parce que je ne connaissais rien d'autre. Il me trouvait un peu bizarre.

A Epe, je serais plus près de Marcel qui était alors à Apeldoorn. je voulais donc y retourner et j'ai pu. Ria et moi., nous nous sommes plusieurs fois enfuies tout simplement parce que c'était excitant. La première fois, nous avons pris le train sans payer jusque chez Ria à Wageningen et en chemin nous avons chapardé dans les magasins. L'autre fois, nous sommes allées à Epe. Là, nous avons atterri chez Maarten Van der Woude, un collègue de mon père qui venait aussi comme client chez nous. Mon père est venu nous chercher.

Ils étaient exagérément gentils, aussi bien mon père que ma mère. Mon père m'a emmenée en haut et nous avons parlé ensemble très longuement. je n'oublierai jamais cette conversation : c'est la première et la dernière fois que j'ai senti de sa part une certaine affection mais je ne sais pas s'il était vraiment attaché à moi. je lui ai écrit récemment une lettre à la prison.

L'homme qui te lira cette lettre est une personne en qui j'ai confiance. Il sait presque tout de mon passé, quelle est ma position par rapport à celui-ci et ce que je pense de ces expériences à la con. Quand j'ai su qu'il allait te rendre visite, j'ai essayé de mettre par écrit des choses qui me préoccupent.

Il fau't que tu remontes un peu dans le passé, au jour où je me suis enfuie de ce home et où tu es venu me chercher avec Maarten Van der Woude. À la maison., pour la première fois de ma vie, j'ai pu parler avec toi, seule et sérieusement. C'était dans la chambre à coucher à l'étage. Tu m'as promis que je ne devrais pas retourner au home si je ne voulais pas. Mais j'avais peur, très peur, et j'étais fatiguée par toutes ces grossesses, et de toujours coucher avec tout le monde contre mon gré.

Tu sais mieux que quiconque que tu m'as promis que cela s'arrêterait. Tu m'as promis que tu arrêterais, d'une manière ou d'une autre.

Maintenant, c'est l'occasion, bien que je ne puisse plus oublier ce que toi, niais surtout maman et les autres, m'avez fait. Mais qui sait, peut-être dans le futur? Si maintenant tu reconnais tout ouvertement, je pourrais te pardonner

Rappelle-toi la dernière séance au tribunal lorsque mon avocat a lu dans mon journal intime : " M'aiment-il ? " Qu'est-ce que je signifie en fait pour toi ? Ai-je jamais signifié quelque chose pour toi ? Sois honnête avec toi-même et avec moi-même, aide les enfants que j'ai maintenant afin qu'ils aient une mère qui puisse dire: " Votre grand-père a mis fin à tout ce que ma vie avait d'exécrable. " Pense un peu à toi et à moi et ne crains rien pour maman ou pour les autres. Même toi, tu peux recevoir de l'aide. Yolanda

Mais il a à peine réagi à cette lettre.

Ainsi, lors de cette conversation avec mon père dans la chambre à coucher, je lui ai dit que je voulais quitter le home.

Il m'a demandé ce que je voulais à la place.

J'ai dit: "Je ne sais pas. Ici, je dois toujours aller au pieu. je suis continuellement engrossée et le bébé m'est toujours enlevé. "

Alors il m'a promis, la main sur le coeur, que cela n'arriverait plus jamais si je revenais à la maison de mon plein gré. je l'ai cru et je crois toujours qu'il était sincère.

Malheureusement, c'est une chiffe molle. Dix jours plus tard, j'étais définitivement de retour à Epe, pleine de bonne volonté. J'étais près de mon petit ami. Les malheurs s'arrêteraient. Personne ne me retenait. J'étais restée à Brummen moins de deux mois.

je n'ai plus revu la déléguée de la Protection de la jeunesse, mon père et ma mère, par contre, oui. Ils ont eu un entretien avec elle à Apeldoorn alors que j'étais déjà revenue à la maison. On ne m'a cependant rien demandé. Ce que je reproche à la Protection de la jeunesse, c'est qu'ils ont trouvé bien que je rentre à la maison et qu'ensuite plus personne ne s'est soucié de moi. Anja, une monitrice du home, m'a aidée, dans ma chambre, à faire mes bagages. Elle m'a demandé pourquoi je voulais partir. je lui ai dit que je voulais partir à cause de Marcel et parce que mes parents avaient promis qu'ils ne me feraient plus de mal. J'ai bien sûr ajouté que j'avais très peur. Elle veillerait, m'at-elle dit, à ce que la Protection de la jeunesse passe chez moi. Mais je n'ai jamais vu personne.

Ma mère était sacrément gentille, mais cela n'a duré qu'un jour. Le lendemain, tout était redevenu comme avant: rien n'était bien, elle était comme je l'avais toujours connue. Elle a recommencé les petits jeux sexuels comme avant, mais sans mon père. Un soir, tard, les choses se sont gâtées alors que mon père avait dû faire des heures supplémentaires. Sa tambouille était toujours préparée quand il revenait à la maison afin qu'il puisse s'y mettre tout de suite. Ma mère lui a dit: "Je n'ai pas eu le temps parce que j'étais occupée avec Yolanda. "

Mon père s'est mis en colère et a dit qu'il m'avait promis que cela ne se passerait plus. Ma mère a répondu qu'elle déciderait elle-même et elle a menacé de le quitter s'il ne collaborait pas. Il a pris peur car on ne divorce pas. Mon père aurait été le premier de sa famille à divorcer, et cela il n'en avait pas le courage. Plus tard, j'ai pensé qu'il avait peut-être peur de ne pas avoir la garde des enfants et donc de se retrouver complètement seul. Je savais qu'il était fâché parce qu'il se taisait. Pendant plusieurs jours, il n'a pas ouvert la bouche. Cela n'a pas changé grand-chose parce que, le week-end suivant, il a à nouveau participé comme d'habitude. Tout ce qui restait de mon monde s'écroulait. Qui me croirait encore maintenant ? Il est vrai que j'étais rentrée à la maison de mon plein gré.

À peine revenue à Epe, j'ai eu le sentiment que je ne m'en sortirais pas. Pendant six mois, Adriaan ne m'a pas adressé un mot, il passait devant moi sans me voir. Il était toujours fâché parce que j'avais dénoncé ses amis. Herman et Peter étaient en liberté. Si je les rencontrais dans la rue, ils me faisaient des sales grimaces : cela ne t'a pas bien réussi. Le directeur de l'école d'agriculture pensait que j'avais fait une fausse déposition. Cela ne valait donc pas la peine que j'y retourne. J'ai dû aller dans une école d'apprentissage ménager.

C'était difficile de me promener dans la rue, car tout le monde me considérait comme la fille qui avait menti, donc on me soupçonnait. Tout ce que j'aimais s'effondrait. Les amis de l'école d'agriculture m'ont laissé tomber, dans la rue ils détournaient la tête. je les comprends, en fait. Si on m'avait dit: "Ton amie a menti", j'aurais moi aussi détourné la tête. J'ai même perdu ma meilleure amie: je suis allée deux fois chez elle, elle m'a claqué la porte au nez.

Je me sentais minable. Plus tard, cela a été un peu mieux. je me disais que j'avais dit la vérité et que les coupables le savaient. je ne suis ni en tort ni hypocrite. Donc je peux aller où je veux, quoi qu'ils pensent de moi. J'ai ignoré la moitié de la population d'Epe. C'était très difficile, mais tout était plus facile que de rester à la maison. je m'en foutais aussi d'être considérée par tout le monde comme la putain d'Epe. C'était quand même ce que j'étais.


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