SOMMARIE LA CRÉDIBILITÉ DE LA JUSTICE
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De
Morgen 10 janvier 1998 Comment l'avons-nous approchée? Début novembre, nous lui avons écrit. Le matin suivant, le GSM sonne: "Bonjour, c'est X1". Une voix claire, "Je trouve cela fort que vous m'ayez trouvée". Nous, cherchant le ton qui convient: "Vous semblez gaie, mais vous ne l'êtes probablement pas". Eclat de rire: "Oh, l'image qu'ils préfèrent avoir d'une victime est celle d'un petit tas de misère qui disparaît dans un coin sans plus oser dire un mot. J'ai dépassé cette phase. Eh oui, je me soutiens grâce à l'humour. C'est permis? " Quelques jours plus tard a lieu la première des six rencontres. Ce sont des soirées qui se terminent au petit matin oú ses poses rieuses se transforment parfois de manière inattendue en vagues d'amertume, de colère ou de culpabilité. Après chaque conversation, elle nous glisse un paquet de notes: l'histoire de sa vie, en épisodes. "La nuit, de toutes manières, je ne ferme pas l'oil alors j'écris constamment" . Au cours de la quatrième conversation, il semble qu'il y ait de l'eau dans le gaz au domicile de la famille X1. Son mari avait congé et il pensait lui faire plaisir en ramassant les crottes de la cages des chiens. Il a reçu la litière du chat à la tête. "De la litière usagée, précise-t-il". "Je ne peux rien y faire, dit-elle, si quelqu'un touche au programme de ma journée, je deviens furieuse. Il doit apprendre à ne pas toucher à ces crottes". Il rit et désigne les bras de sa femme. Elle rit aussi: "Et si rien ne change, alors je coupe". Des chiens donc. Nous sentons leur présence mais nous n'arriverons jamais à les compter. Les enfants oui, il y en a quatre. "Chaque enfant que l'on m'a pris je voulais le remplacer", dit-elle d'un air recueilli. Nous avions lu cela dans les dossiers mais c'est différent de l'entendre de sa bouche. Sauf dans les médias, elle préfère être appelée Gini. En janvier 1969, elle voit le jour à Knokke. Elle n'a pas encore appris à parler quand sa grand-mère, chez qui elle passe la plus grande partie de son enfance, "l'initie " . Sous la tutelle de sa grand-mère, elle grandit comme une enfant prostituée. Elle est prêtée à ceux qui la désirent et louent une chambre dans l'un des hôtels oú sa grand-mère la place. Le groupe de clients reste relativement restreint, mais cela change lorsqu'à l'âge de dix ans elle quitte Knokke pour aller habiter chez sa mère à Gand. Elle découvre que sa mère, dans sa jeunesse, a vécu les mêmes choses qu'elle-même et s'est mise maintenant de l'autre côté de la barrière. Maman chérie à une relation avec T., un souteneur de Borgerhout. Gini l'a connu comme fournisseur d'enfants pour des orgies. Un jour sa mère lui laisse entendre qu'elle a été vendue à T.. Plus tard, elle apprend le montant de la vente: 120.000 francs. T. introduit Gini dans le circuit de Gand, Bruxelles et Anvers oú les choses prennent une tournure beaucoup plus violente qu'à Knokke. Au cours de ses interrogatoires X1 évoque les snuff movies, des assassinats de bébés et même des parties de chasse au cours desquelles des enfants nus courent dans un parc et sont achevés à l'arbalète. Elle dit qu'elle a appris à comprendre ce qui pousse les clients à ces folles extrémités: une sorte de dépendance au pouvoir, au pouvoir de décider de la douleur, de la vie et de la mort. Elle parle d'hommes d'affaires, de politiciens connus et moins connus, de magistrats, de médecins et de pères de famille. X1 lie connaissance avec une série d'enfants qui, comme elle, tournent depuis des années dans le réseau. Jusqu'à ce qu'ils deviennent trop âgés et/ou que l'on considère qu'ils parlent trop. La plupart, dit X1 devaient être rentables jusqu'à leur dernière souffle. Comment se fait-il que tu aies survécu? Lui: "Hum, hum. " X1 (riant) "Grâce à lui donc". Lui: "Elle est assez têtue". X1: "Depuis toute petite, j'ai développé un fort instinct de conservation. Mon père était un Indien du Canada qui avait atterri à Knokke et en était reparti. C'est peut-être dans mon sang. J'étais petite et dure et j'avais une grande résistance à la douleur. Mes blessures guérissaient rapidement. C'est la raison pour laquelle, au début des années 80, je valais beaucoup d'argent. Je suis arrivée naturellement dans la branche S.M.. Des scénarios ont été écrits pour des films oú je devais jouer. " Toutes ces années j'ai pu survivre grâce à l'observation attentive des auteurs de ces actes, en m'imprégnant la tête de leurs codes internes. Pour donner un exemple, T. vient me chercher un soir et me dit: "On va chez Frans, tu sais qui est Frans? " "Oui", dis-je. Pendant une demi-heure il ne dit rien. Puis il s'arrête et me flanque une terrible raclée. Eh bien, je vous assure qu'après cela, vous ne direz plus jamais que vous savez qui est Frans. Vous ne connaissiez tout simplement plus Frans. Enfin, un jour de novembre 1984, T. me dit: 'Quand tu auras seize ans tu pourras venir habiter chez moi'. Il était inutile de me donner plus d'explications. Mon tour arrivait. De toute cette génération de fillettes de la période 1982-84, j'étais la seule survivante. J'étais une enfant prostituée, je ne manquerais à personne. Personne ne déposerait plainte - ma mère encore moins que les autres. Donc, je me mis à réfléchir: je dois trouver le plus rapidement possible un amoureux et l'aimer si intensément que je lui manquerai. Cela devait aller vite, je n'avais plus que trois mois. Je l'ai trouvé (elle rit). Regardez, il est encore ici". Lui: "Et je ne savais rien de tout ceci". X1: "C'était un pari énorme. J'ai convaincu T. que mon ami était au courant de tout. Ils m'ont mise sous forte pression pour que j'arrête la relation. T. m'avait donné un petit cheval, Tasja. J'étais folle de lui. T. n'avait pas acheté ce petit cheval pour me faire plaisir, mais seulement pour augmenter son pouvoir sur moi. Si je me comportais bien, il ne serait pas abattu, disait-il. C'était un choix déchirant: Tasja ou lui. Mais je savais que, si je voulais survivre, je devais perdre Tasja. Et un jour l'écurie fut vide. " Grâce à lui vous avez pu quitter le réseau? X1: "Pas tout de suite. Nous nous sommes mariés rapidement et j'essayais d'être enceinte. Je réglais ma vie de manière à être le plus possible auprès de lui. Mais ça ne réussissait pas toujours. Il devait encore faire son service militaire. J'espérais qu'ils me laisseraient tranquille s'ils voyaient que je me construisais une autre vie sans les mettre en danger. Quelle erreur ! Un jour, j'étais seule à la maison avec le bébé qui avait quelques mois, ils étaient devant la porte, T. et Miche, Nihoul donc. Ils venaient me rappeler mon devoir de silence, et ce n'était possible que d'une seule manière: en me rendant complice. J'étais majeure et je devais les accompagner, tandis qu'un "chien de garde " resterait près de mon bébé. Il ne se passerait rien avec l'enfant, me dirent-ils, tant que j'obéirais. "Tu sais, la mort subite du nourrisson arrive bien plus souvent qu'on ne le pense. Et si cela t'arrive deux ou trois fois, ils vont commencer à poser des questions sur la mère". Je devins folle. Je ne pouvais pas perdre encore un enfant. Après, cela à encore duré des années. Ma mère les tenait au courant des absences de mon mari qui gagnait sa vie comme camionneur. Quand il rentrait à la maison, j'étais recroquevillée dans un coin, paralysée par l'angoisse". Lui: "Je pensais qu'elle était dépressive à cause de ces choses du passé. Mais elle ne m'avait jamais raconté que les menaces continuaient". X1: "T. s'est inscrit à la VUB comme étudiant libre en psychologie. Ca montre à quel point ils étaient préoccupés par leur système de sécurité. C'était un camp de concentration. J'ai connu des filles qui organisaient sans le savoir leur propre fête d'adieu. J'en ai entendu d'autres dire: "Moi ils ne m'auront pas, je fuirai. Mais, leur pouvoir était infini ".. Quand cela s'est-il définitivement arrêté? X1: "En juin 1995 j'ai vu T. pour la dernière fois. Dans les mois qui ont suivi, j'ai eu peur qu'il revienne. Il ne téléphonait plus. Il est alors arrivé un moment oú, tout doucement, j'ai commencé à réaliser: c'était vraiment fini. Je suppose qu'il y a eu un changement de pouvoir au sein du réseau. Les souteneurs de l'époque avaient formé de nouveaux souteneurs et formateurs. Ces nouveaux individus, je ne pouvais pas les connaître. Exactement ce que je pouvais désirer ! J'étais convaincue d'une chose: j'allais enfin commencer à vivre et je ne parlerais jamais, jamais ! " Tu l'as fait finalement. X1: "Oui, sur les conseils de mon amie, Tania. Je pourrais l'étrangler (elle rit). Elle connaissait mon histoire dans les grandes lignes, mais je ne lui avais jamais cité de nom - je ne l'ai jamais fait jusqu'à la fin de 1996. Ce devait être le 17 août. Nous regardions la télévision ensemble. Il est apparu: Miche, sur les marches du palais de justice, hué par une bande de jeunes loups. Je me recroquevillai. Tania remarqua qu'il se passait quelque chose. 'Tu le connais?' Je fis signe que oui. Tu sais, je ne connaissais même pas son nom de famille. Je me souviens d'avoir pensé dans mon for intérieur: Nihoul, c'est vraiment un nom pour lui. " J'ai été bouleversée par l'attention permanente sur l'affaire Dutroux. Je n'ai jamais cru en Dieu mais quand j'ai vu les images de la libération de Sabine et de Laetitia, je me suis engouffrée dans la salle de bains. Sans vraiment en avoir conscience je me suis agenouillée devant le miroir et j'ai commencé à prier: ' Merci mon Dieu, merci ! Enfin ! Enfin ils ont pu en libérer deux ! 'Les policiers qui ont fait entrer Sabine et Laetitia dans une voiture, c'étaient les chevaliers blancs dont j'avais rêvé pendant toutes ces années. Pour moi, ils ne sont jamais venus. Chaque fois que T., ivre mort, roulait vers la maison j'espérais qu'il y ait un contrôle anti-alcool. J'entends actuellement parler régulièrement de ces actions, mais elles n'existaient pas à l'époque". " Toute la nuit, Tania et moi, nous avons parlé. Elle trouvait que je devais aller à Neufchâteau. Je disais qu'elle était folle. Personne ne me croirait. D'autre part, je me sentais aussi coupable que Miche. Je me voyais déjà avec un gilet pare-balles sur les escaliers de Neufchâteau. Tania insistait. A la fin, nous avons atteint un compromis. Elle téléphonerait à Connerotte et dirait qu'elle connaissait quelqu'un qui savait beaucoup de choses sur Nihoul. Elle raconterait tout. Mais seulement sur Nihoul. Moi je ne voulais rien avoir à faire avec cela. Le 4 septembre elle téléphona à Connerotte. Celui-ci lui envoya l'adjudant de gendarmerie Patrick De Baets chez elle. Il ne croyait rien de ce qu'elle lui racontait. Tania essaya de le convaincre et lui donna un exemplaire du livre que j'avais écrit en 1993". Tu as écrit un livre? X1: "Oui, j'ai présenté mon manuscrit chez Acco à Louvain en 1993. Ils l'ont refusé - c'est compréhensible. Donc ce soir-là Tania me téléphona. Prudemment elle me dit qu'elle avait raconté un tout petit peu plus de choses que convenu. 'Ce type de la BSR est encore ici ' dit-elle. ' Il voudrait te parler. Une chose encore, je lui ai donné ton manuscrit'. J'étais furieuse. 'Conne, tu ne te souviens pas que j'ai signé ton exemplaire?' J'ai eu ce De Baets un instant au téléphone et, sans vraiment y réfléchir, j'ai accepté un rendez-vous. Après ça, j'ai commencé à ruminer. Dans quoi m'étais-je lancée? Je paniquais et j'ai annulé par téléphone. Je ne témoignerais pas, no way. Mais cela continuait à me ronger. Je réalisai que la BSR avait mon nom et qu'évidemment, ils chercheraient plus avant. Et s'ils tenaient Nihoul, ils atterriraient tôt ou tard chez moi. Donc je téléphonai quand même. " Comment les enquêteurs réagirent-ils? T'ont-ils crue? X1: "Je me souviens qu'au cours de ce premier interrogatoire un membre de la BSR s'enfuit dans le couloir, je l'entendais hurler: 'Les salopards, nom de Dieu !' Bof, il reviendra bien disaient ses collègues. Je m'étais pourtant exprimée de manière vague, cette première fois. J'avais seulement expliqué dans les grandes lignes comment un tel réseau était structuré. Après, cela devint plus difficile. Ils voulaient des faits concrets, des noms, des lieux. C'était angoissant. Toute ma vie j'avais appris à me taire. Chaque fois que tu fais quelque chose qui ne plaît pas aux bourreaux, tu es punie. Pas tout de suite, parfois cela prend des jours ou des semaines. Mais la punition tombe. Souvent ce n'est pas toi qui es punie, mais une amie ou un animal que tu aimes. Je vivais avec des freins internes. Chaque fois que pendant un interrogatoire je citais des noms, les jours suivants étaient très pénibles". " En fait, j'ai raconté beaucoup plus de choses que je ne le souhaitais. C'est dû en partie à l'obstination de De Baets et de la première équipe d'enquêteurs. Pour la première fois dans ma vie, j'avais l'impression que mon histoire était prise au sérieux. Attention, parfois ils me traitaient durement. Quand ils me questionnaient au sujet de certains noms, je voulais toujours savoir pourquoi. Je donnais en général des réponses très courtes. C'est la raison pour laquelle ils devaient poser beaucoup de questions. Ceci est actuellement interprété comme de la 'suggestion', mais il n'en était rien. Je voulais absolument savoir oú ils voulaient en venir, en partie par anxiété. Je n'étais pas prête à mettre n'importe qui en difficulté. Je connais des centaines de gens qui à l'occasion de l'une ou l'autre fête, ont été saoulés et conduits dans une chambre oú une fille de seize ans les attendait. Je ne voulais pas détruire la vie de ces gens là. D'autre part, il y a des sujets que je voulais éviter parce que je savais bien que ce que je raconterais semblerait tout à fait incroyable. " Je n'étais pas commode, je le sais. Mais quand je lis l'un ou l'autre journal maintenant, je comprends qu'il est impossible, suivant les procédures utilisées en Belgique, d'interroger une victime d'abus sexuel. Ils ne savent pas faire ça convenablement. La première équipe de la BSR a au moins essayé. Ils ont sorti les premiers témoignages concrets et ont pensé qu'ils en tireraient rapidement des résultats. C'est ce qu'ils pensaient. " Tu veux parler du meurtre de Christine Van Hees dans l'ancienne champignonnière d'Auder- ghem? X1: "Exactement. Ils organisaient des fêtes au cours desquelles nous devions inviter des amies. Elles étaient testées. Ils faisaient des petits jeux, observaient comment les filles réagissaient, allaient un peu plus loin et sortaient facilement les victimes du lot. Ce qu'ils préféraient, c'étaient les enfants qui avaient des problèmes avec leurs parents. De telle manière, leur disparition serait interprétée d'office comme une fugue. Ces filles aboutissaient dans le noyau dur. C'est comme ça que cela s'est passé pour Christine. Elle était une fille de Nihoul. Il était capable de faire ça: emmener une enfant comme ça dans un bar ou l'autre et l'écouter parler de ses problèmes pendant des heures, avec sérieux et compréhension. Il lui faisait des petits cadeaux et créait un monde secret pour tous deux." D'après toi, Marc Dutroux comme Michel Nihoul sont impliqués dans ce meurtre. Se connaissaient-ils déjà si bien en 1984? X1: "Je ne les considérais certainement pas comme un duo établi. Je les voyais occasionnellement ensemble. Miche se situait clairement quelques échelons plus haut. J'ai été étonnée quand j'ai vu ce qu'était devenu Dutroux. Ce type calme, petit personnage secondaire, je ne l'avais jamais vu comme une menace de mort. A cette époque, c'était seulement un morveux qui pouvait participer de temps en temps. J'essaie de comprendre ce qui a pu se passer pour lui. Peut-être a-t-il pensé: je vais me lancer à mon propre compte. " Miche, c'était un type brutal, que rien n'arrêtait et vis-à-vis duquel je ressens encore beaucoup d'angoisse. Je dois dire que j'ai été étonnée lorsque j'ai entendu qu'il serait impliqué dans le kidnapping de Laetitia. Ce n'était pas son style. Ce n'est pas un type qui se salit volontiers les mains. D'autre part, j'ai été encore beaucoup plus surprise d'apprendre que son alibi consistait à dire qu'il était en train de retaper un flat avec Michel Vanderelst. (elle fait la moue) Un flat ! Nihoul et Vanderelst qui s'activent avec des brosses à tapisser, des pinceaux et des marteaux. Allons allons ! Je n'ai vu cet homme enfoncer un clou,qu'une fois mais ce n'était pas dans un mur (elle éclate de rire). Désolée, ce n'est pas drôle. " Dans ton récit sur Christine Van Hees, il y a des éléments curieux. Après d'autres meurtres, les corps avaient été professionnellement dissimulés. Ici l'attention a été immédiatement attirée par un feu. X1: "Je vais vous raconter une chose que je n'avais pas encore dite aux enquêteurs. Pour vous donner une idée du sentiment d'impunité qui les animait. Ils avaient fait un pari. Ils ont parié pour savoir qui ils allaient faire trinquer pour ce meurtre. Ils savaient que des punks traînaient dans ces ruines et ils savaient à peu près qui ils feraient arrêter. C'était un sport. Pour eux, il était devenu tellement simple de faire disparaître un corps qu'ils voulaient, pour une fois, faire quelque chose de plus spectaculaire. C'est comme ça qu'ils fonctionnaient. Toujours plus de tension, plus d'adrénaline. Dépasser les limites". Comment sais-tu des choses comme ça? Ils ne vont tout de même pas raconter ça à une victime? X1: "Mon instinct de survie. Quand tu tournes là-dedans aussi longtemps, tu te comportes comme un petit chien qui court derrière son maître, même s'il te frappe. Qu'aurais-je pû faire d'autre? A tout bout de champ je voyais disparaître des amies. A elles, je ne pouvais pas m'attacher car je pouvais les perdre d'un jour à l'autre. Les seules valeurs stables étaient mes bourreaux. Je me suis donc tournée vers eux. Ils étaient mes dieux. Ils décidaient de ma douleur, de ma vie et de ma mort. Je pouvais survivre uniquement si je me rangeais à leurs côtés. C'est donc ce que j'ai fait. Pendant leurs conversations, ils m'oubliaient. J'étais un chien d'appartement, j'étais devenue transparente. Je faisais comme si je ne comprenais pas le français. Je ne parle que difficilement la langue, mais je ne la comprends que trop bien. Donc j'ai appris beaucoup. J'apprenais à survivre. Parfois ce n'était que du langage non-verbal, comme au cours des parties de chasse. Les enfants étaient sur un rang et devaient choisir eux-mêmes un chasseur. J'adoptais toujours une attitude du genre: 'Je suis l'une d'entre vous.' Je me mettais aussi toujours du côté des rieurs. Les rieurs, c'étaient ceux qui étaient les plus nerveux. Ils le faisaient pour la première fois et ils avaient bu. Alors ils tiraient à côté". Te sens-tu coupable X1 (froide): "Qu'est-ce-que tu penses? Essaye de te mettre à ma place. Imagine que tu doives choisir entre tes deux meilleures amies. Attention: vraiment choisir. C'est l'une qui meurt ou c'est l'autre. J'ai dû faire cela plusieurs fois. Voilà pourquoi je ne dors jamais plus de deux heures par nuit. Je peux bien adopter la pose de 'j'étais la plus maligne', mais dans ma vie je ne fais plus rien d'autre que choisir. Tous ces gens que je connaissais passent en revue la nuit. Dis Gini, celle-ci ou celle-là? " Evidemment je me sens coupable, Clo, Christine, les autres filles sont restées derrière moi. Elles auraient pu faire bien plus de leur vie que moi. Pourquoi moi? Prends Christine. J'avoue qu'au début, comme les autres filles expérimentées, je l'avais en grippe. Je m'inquiétais de son comportement naf et amoureux. Elle et son Miche. Comment pouvait-elle être aussi stupide? Je pensais: attends ma fille, que tu apprennes vraiment à le connaître. La deuxième fois que je l'ai vue, elle était déjà moins enthousiaste. Je fus désignée pour la former. Ceci impliquait qu'il fallait payer quand la nouvelle n'était pas assez 'libérée'. Christine m'a occasionné beaucoup de soucis. Les victimes n'étaient pas solidaires. Il y avait beaucoup de jalousie. " Un soir j'ai eu pitié d'elle. Je la voyais assise dans un coin de la salle de bains. Cela avait à nouveau été dur pour elle et elle pleurait. Nous nous sommes mises à parler. Nos souteneurs étaient occupés à faire la bringue et ne nous portaient pas d'attention. Elle disait qu'elle n'en pouvait plus, qu'elle allait se suicider. J'essayais de lui donner du courage. N'avait-elle personne à qui elle puisse faire confiance? Pour raconter qu'elle était tombée amoureuse d'un homme plus âgé qui lui demandait des choses qu'elle ne pouvait pas assumer et qu'elle avait peur? Elle avait un journal intime me dit-elle, qu'elle avait dissimulé dans une cachette. Dans ce journal intime il n'y avait pas grand-chose: seulement qu'elle connaissait un homme plus âgé, que ça dérapait, tout très vague. 'Tes parents t'aiment-ils?' demandais-je. Oui, acquiesça-t-elle. 'Alors parle leur de tout ça,' lui dis-je. Elle me promit de le faire. Quelques jours plus tard, j'étais avec Mieke, qui tournait aussi depuis longtemps. Elle était fâchée sur Christine parce qu'elle avait été punie à cause d'elle. Je lui soufflai alors que ça ne durerait plus longtemps. Je lui racontai la conversation avec Christine. Mieke a paniqué. Elle a tout raconté à Miche. A partir de ce moment, il était décidé que Christine mourrait et d'une manière dont nous nous souviendrions longtemps. A cause d'une remarque idiote de ma part, cette fille à souffert et est morte en martyre. Dieu, dans quel monde nous vivions? Nous étions des teenagers idiotes. J'entends encore Mieke dire que Christine était devenue dangereuse et qu'elle même ne se sentait pas très disposée à finir à l'hôpital. Oh Mieke quelques mois plus tard, elle fut elle-même exécutée. " Certains enquêteurs disent que tu as ramassé ces informations dans de vieux journaux et que tu les a complétées au hasard. X1: "Je commence à savoir ce qu'on me reproche. Naturellement j'ai fait des erreurs. Nom d'une pipe, je ne pouvais plus faire la différence entre le jour et la nuit ! Ce même week-end, ils ont assassiné mon petit enfant Tiu. C'était une orgie sanglante. A la fin ils m'ont ramenée à la maison - même pas jusqu'à la porte, mais jusqu'à une bretelle d'autoroute. J'ai avancé toute seule en chancelant. Des semaines durant, je n'ai plus prononcé un mot. Je ne voulais qu'une chose: être avec Tiu, mourir. Maintenant on attend de moi que je décrive calmement cette soirée comme si je parlais de ce que j'ai mangé hier. Eh bien je n'en suis pas capable. Sorry. J'ai des difficultés avec la chronologie, je le sais. Je mélange les faits ou les colle les uns aux autres. Mais ce que je raconte qu'ils ont fait à Christine a été contrôlé et semble correspondre. Ma relation des faits est même plus précise que l'ancien dossier judiciaire: le clou, le tampax, le câble électrique, cette maison, les auteurs. Ce n'est, semble-t-il, pas assez. Eh bien c'est dommage. Je ne peux pas faire mieux. Je ne savais pas que cette affaire avait fait tant de bruit à Bruxelles, dans le temps. Je n'avais jamais entendu parler d'une champignonnière. Je me souvenais seulement de ces grandes caisses de bois. Ce fût un choc de voir ces images à la télévision tout à coup. Tout revenait (long silence) ". Lui: "C'est comme disait Gino Russo il n'y a pas longtemps: même si un dixième de tout ceci est vrai, c'est encore horrible". X1 (se fâchant): "Nom d'une pipe, c'est ce qu'ils disent tous ! Comme si seulement un dixième de ce que je raconte était vrai ! " A un moment donné, tu as envoyé un fax à la BSR, dans lequel tu parles de septante meurtres d'enfants. X1: "C'est la vérité. Je voudrais continuer à témoigner. Maintenant que j'ai franchi la ligne, il vaut mieux que je continue. Je suis persuadée que l'on peut constituer d'autres dossiers que celui de Christine Van Hees et de Carine Dellaert. Je sais ce qui s'est passé avec un autre enfants qui a disparu depuis plus de cinq ans. Seulement: si plus personne ne s'y intéresse, je ne peux rien y faire. La seule chose que je voulais atteindre avec mon témoignage, c'est la reconnaissance que les réseaux existent. Je vois que j'ai obtenu exactement le contraire. Une émission télévisée (" Au Nom de la Loi", NDLR) a suffi pour que l'ensemble des médias et des hommes politiques crient en chour que tout cela n'est pas aussi grave qu'on le craignait. Et la population avale ça. Personne ne réagit. Les réseaux n'existent donc pas? Ah, quel soulagement. " Pour moi-même, je ne trouve pas que ce soit si grave. Je n'ai pas besoin de me venger de mes bourreaux, au contraire. Cela semble étrange, mais en les dénonçant, j'ai renoncé à une part de ma famille. Je ne voulais pas prononcer de noms au début, parce que l'idée qu'ils aillent en prison m'est encore pénible. Mais pour les petites victimes d'aujourd'hui la situation devient sans issue. Quand j'ai pu quitter définitivement le réseau, j'ai vu là des enfants de quatre et cinq ans. Oú sont-ils maintenant? C'est pour eux que je l'ai fait. S'il s'avère que les réseaux résistent à l'affaire Dutroux, c'est fichu définitivement. Les bourreaux seront plus en sécurité qu'ils n'ont jamais pu l'espérer. Et les victimes recevront le message que dans le futur il vaut mieux qu'elles se taisent. " Qu'as-tu pensé quand tu as vu le pays rempli d'affiches de Julie et Mélissa, An et Eefje? X1: "Pour moi il n'y avait pas le moindre doute qu'elles avaient atterri dans un réseau. Je pensais: c'est sûrement le dernier cri: plus de plaisir encore avec un enfant kidnappé. Ce que j'ai regardé avec stupeur, ce sont ces parents. Je pensais: qu'est-ce-c'est que ce couple de bricoleurs têtus? Ce Paul Marchal, ce Gino Russo. Un moment je me suis demandée s'ils ne faisaient pas semblant. Mais non, c'était vrai. Ils recherchaient vraiment leurs enfants. Cela me paraissait si irréel. J'avais, d'une certaine manière, grandi avec l'idée que les parents normaux mettent leurs enfants en vente. " Collabores-tu encore à l'enquête judiciaire? X1: "Je veux bien, mais y a-t-il encore une enquête? Et si oui, contre qui? Après que l'équipe de De Baets ait été renvoyée, est venu le premier contact avec les nouveaux enquêteurs. L'un d'entre eux m'a clairement signifié que je n'étais plus désormais entendue en tant que victime ou en tant que témoin. Etais-je soudain devenue un auteur ou quelque chose comme ça? Alors il m'a répondu qu'il ne voulait pas répondre à cette question et qu'il ne pouvait pas croire que je n'ai jamais éprouvé de 'plaisir'. J'ai dû avaler ma salive. Je suis habituée à beaucoup de préjugés, mais ceci. Ils parlaient aussi obstinément de mes 'amants', tandis que je vivais dans l'illusion qu'ils recherchaient mes violeurs. "Une enquête sérieuse? Je crains qu'il ne puisse plus être question de perquisitions par surprise. (Moqueuse) Pensez-vous qu'il reste des cassettes chez T.? Pendant six mois il ne s'est rien passé. Ils renvoient leurs meilleurs hommes. Ils laissent traîner leurs dossiers sur la banquette arrière de leurs voitures oú, par hasard - hahaha - on les vole. Ceci fut pour moi le moment oú j'ai commencé à penser à nouveau à contacter des journalistes. Oú sont ces dossiers maintenant? Toutes mes déclarations semblent y être, avec les noms des auteurs. Est-ce-que mon nom est dedans? Si je pose cette question à mes enquêteurs actuels, ils sont gênés. Appelons un chat un chat: on ne veut absolument pas que tous ces meurtres d'enfants des années quatre-vingt soient élucidés. " Je lis et j'entends ces derniers temps, tant de non-sens à mon propos. 'X1 est une mythomane. Elle a l'air beaucoup trop bien pour quelqu'un qui aurait vécu toutes ces choses horribles.' Vous connaissez la dernière? J'ai à un moment travaillé comme volontaire à un projet de l'asbl "Tegen Haar Wil", une organisation qui défend les femmes victime de viols. A un moment nous avons créé - avec le soutien de Miet Smet - un kit d'aides et une brochure pour assister les services de police dans leur relation avec les victimes de violences sexuelles. Quand ils ont appris ça à la BSR, ils ont sauté en l'air. Elle à l'expérience du jeu des victimes ! On l'a démasquée ! Voilà le climat actuel. Oh oui, et ceci encore: je connaîtrais très bien X4 et nous aurions accordé nos versions. " Nous avons reçu hier un appel téléphonique de X4. Elle voulait savoir si elle pouvait entrer en contact avec vous. X1: "C'est inimaginable ! Ils veulent m'attraper sur le moindre détail. Ils affirment que la fille que j'appelle dans mes premières déclarations 'Clo' ne peut pas être Carine Dellaert parce que je ne connaissais pas son vrai nom. Mais c'est comme ça que ça se passait: chaque fille avait un diminutif. J'étais Reggi, elle était Clo. Personne ne connaissait le vrai nom des autres. Nous ne le demandions pas non plus. Moins on en savait, mieux ça valait. Une question m'a complètement désarçonnée: quelle était la couleur des yeux de Clo? Je ne le savais plus. Je trouve cela grave de ne plus m'en souvenir. Mais essaye un peu avec ton propre grand-père décédé il y a dix ans. Difficile tu sais. Alors leur question la plus bête: Clo jouait-elle d'un instrument de musique? Comme si on n'avait rien de mieux à faire que de parler d'instruments de musique. Quand on avait le temps de parler, on échangeait des informations. Comment il fallait approcher tel ou tel client, ce qu'il ne fallait surtout pas faire avec celui-ci et comment tu pouvais éviter d'être punie. Oui, avec Clo il existait une solidarité. C'est pour ça que sa mort m'a fait tant de peine. " Nous parlons depuis longtemps et le mot satanisme n'est toujours pas tombé. X1: "Enfin un sujet amusant. (Elle prend l'attitude d'une institutrice). Satanisme donc. Mets-toi à la place des bourreaux. Quand ils accueillaient de nouvelles victimes dans leur milieu, il était de la plus grande importance que celles-ci ne parlent à personne de ce qui leur est arrivé. C'est pourquoi ils organisaient des 'cérémonies'. Ils amenaient la victime dans une villa fortement gardée et la convainquaient que ceci serait 'sa' fête. Suivait une grande représentation avec masques, bougies, croix renversées, glaives et animaux. On éventrait des lapins, le sang était versé sur les filles nues et des hommes et des femmes vénéraient le diable. Nous, les filles expérimentées on était pliées en deux de rire quand on les voyait occupés avec leurs masques de carnaval. 'Ils ont de nouveau enfilé leurs costumes de vampire' nous disions-nous entre nous. Je ne pense pas que les bourreaux en retiraient beaucoup de plaisir. Ils préféraient être tout nus que se trimbaler en costumes de latex. Ces rituels n'avaient pour but que de désorienter totalement les victimes. Ils harcelaient alors ces enfants avec un tas d'idioties - 'Maintenant tu es la femme de Satan'- et leur donnaient en plus de la coke, du LSD ou de l'hérone. Je peux vous assurer qu'ensuite vous vous sentiez entièrement hors de la réalité. C'était le but, que la victime elle-même commence à douter du fait que tout cela soit réellement arrivé. Résultat? Une telle victime n'osait parler à personne." Ton souteneur était-il pédophile? X1: "Il était aussi peu pédophile que moi extra-lucide. Je trouve l'expression 'réseau de pédophilie', trompeuse. Les pédosexuels sont pour moi ces hommes qui vont dans les plaines de jeux ou les piscines, des curés. Après l'affaire Dutroux c'est devenu la nouvelle mode: faire des perquisitions à l'évêché. Je ne veux certainement pas les blanchir mais je préfère les pédophiles aux types auxquels nous avions à faire. C'étaient des hommes qui ne touchaient jamais les enfants. Que tu aies cinq, dix ou quinze ans, ce n'était pas important. Ce qui leur importait c'était le sexe, le pouvoir, l'expérience. Faire des choses qu'ils n'auraient jamais essayées avec leur propre femme. Il y avait de véritables sadiques parmi eux. Ou des types avec lesquels tu devais coucher et oú tout semblait bien se passer. Quand c'était terminé, le type s'asseyait sur le bord du lit et buvait son cognac. Puis il éclatait et te frappait à mort. Tu avais aussi des homosexuels qui coupaient d'abord une fille pendant des heures, ce qui les excitait beaucoup, puis qui prenaient un garçon. " Ne me comprends pas mal. J'ai participé à beaucoup d'orgies meurtrières, mais plus souvent encore à des orgies qui n'avaient d'autre but que le chantage. Le 'noyau dur' c'était une quarantaine de personnes au plus. Les victimes des chantages, il y en a quelques centaines, peut-être des milliers. Ce que je trouve le plus grave, c'est que ces types restent silencieux. Qu'est-ce qu'ils ont fait de mal? Ils ont couché quelques fois avec une fille de quinze ou seize ans - parfois même pas consciemment - et ils savent qu'il existe des photos. Pourquoi ne parlent-ils pas? Pourquoi n'aident |